Porter un pantalon trop court

Dans un tweet datant du 15 mai 2021, Edouard Trouillez, l’un des lexicographes qui a travaillé sur l’édition 2022 du petit Robert, signalait l’entrée du belgicisme « avoir l’eau dans les caves », variante du français de référence « pantalon feu de plancher » :

Les partages et les commentaires générés par son tweet ont éveillé notre curiosité, et nous ont encouragés à inclure dans la 16e édition de notre série de sondages une question relative aux expressions existantes pour désigner le fait de porter un pantalon trop court. La question, formulée simplement (« Disposez-vous d’une expression particulière pour parler d’une personne dont le pantalon est un peu trop court ? »), était accompagnée de la photo ci-dessous :

Pour exprimer leur avis, les internautes ayant pris part à l’enquête pouvaient cocher une ou plusieurs réponses dans la liste suivante : (a) aller à la pêche aux moules; (b) aller aux fraises; (c) avoir de l’eau à la cave; (d) avoir de l’eau dans la cave; (e) avoir de l’eau dans les caves; (f) avoir le feu au plancher; (g) avoir les feux de plancher; (h) pantalon feu au plancher ; (i) hochwasser; (j) je n’ai pas d’expression particulière; (h) autre (préciser).

Quel français régional parlez-vous ? Les cartes commentées dans ce billet sont issues de sondages linguistiques, auxquels nous invitons nos lecteurs à participer. Vous pouvez nous aider à continuer cette recherche en répondant à quelques questions sur votre usage et votre connaissance des régionalismes du français. Il suffit pour cela de disposer d’une petite dizaine de minutes devant vous, et d’une connexion internet (votre participation est anonyme). Cliquez sur ce lien pour accéder aux questionnaires. Et si vous souhaitez en savoir plus sur la façon dont nous avons conçu lesdites cartes, vous pouvez lire cet article.

Au total, nous avons conservé les réponses d’un peu plus de 8.100 francophones ayant déclaré avoir passé la plus grande partie de leur jeunesse en Belgique, en France ou en Suisse. De cet échantillon, nous avons exclu les 3.500 participants ayant répondu ne disposer d’aucune expression particulière.

Conflit générationnel ? Sans surprise, les résultats d’une analyse de régression logistique montrent que les participants ayant déclaré ne disposer d’aucune expression sont en moyenne significativement plus jeunes que ceux qui ont déclaré connaître au moins une expression spécifique (26,5 ans vs 33,9 ans), et ce peu importe leur pays d’origine (p < 0, 001). Naguère, les pantalons trop courts n’étaient pas à la mode, bien au contraire : ils étaient le propre des enfants appartenant à des milieux modestes.

Nous avons dépouillé l’ensemble des réponses, en établissant certains regroupements (toutes les réponses impliquant les mots ‘feux’ et ‘plancher’, notamment) et en considérant les réponses données dans la case ‘autre’. Ensuite, nous avons calculé, pour chaque arrondissement de Belgique, de France et chaque district de Suisse romande les pourcentages de chaque réponse, que nous avons reportés sur des cartes. La superposition des différentes cartes nous a enfin permis de faire émerger les zones avec des réponses majoritaires. Enfin, une technique d’interpolation spatiale (krigeage) a été employée pour obtenir une représentation lisse et continue du territoire, tout en tenant compte du caractère transitoire des frontières entre les zones.

Expressions désignant le fait de ‘porter un pantalon trop court’ dans la francophonie d’Europe, d’après les enquêtes Français de nos Régions (2015-2021).

Comme on peut le voir sur la carte ci-dessus, on peut faire la part entre 5 grands types de tournures pour désigner le fait de porter un pantalon trop court.

Avoir le feu au plancher

L’expression ‘avoir le feu au plancher’ est majoritaire en France (un peu plus de 1.500 réponses). Géographiquement, elle est employée presque exclusivement dans tout le quart sud-ouest de l’Hexagone, en Bretagne celtique, en Île-de-France, en Normandie et dans les Hauts-de-France.

Sur le plan syntagmatique, elle comporte un certain nombre de variantes, toutes minoritaires. Outre ‘avoir les feux au plancher’ (+/- 200 réponses) et ‘pantalons feu au plancher’ (+/- 250 réponses), qui figuraient dans le sondage, les internautes ont suggéré des formes du type : ‘avoir un feu de plancher’, ‘avoir le feu aux planches’ ou encore ‘avoir le feu aux brousses’.

>> Lire aussi : Les dénominations de l’amas de poussière

Dans les dictionnaires du web, l’expression n’est recensée que dans le Wiktionnaire; elle n’est pas répertoriée dans le TLFi, ni dans le Grand Robert ou dans le Larousse. Cela s’explique sans doute car elle est relativement récente dans l’histoire du français. La première attestation dans le corpus FRANTEXT date de 1987 :

Un grand échalas au pantalon qui a subi un feu de plancher a pas l’air d’accord. Y porte jeune et pas méchant, l’interminable. Mais il exhibe une curieuse cicatrice qui lui dessine comme des bacchantes à la d’Artagnan.

Jean-Louis Degaudenzi, Zone (1987)

Une recherche dans Google Books permet de remonter un peu plus loin dans le temps, à 1979 plus précisément :

Les cheveux coincés sous un pauvre béret, les oreilles au vent, un pull étriqué, une veste trop courte, un pantalon feu de plancher et des sandales

Jean-Pierre Chabrol, ‎Théâtre de la Jacquerie (1979) 

A noter que ni la base de données Gallica ni la base de données Europresse ne permettent d’antidater cette première attestation.

Aller à la pêche aux moules

La seconde expression la plus répandue (avec près de 1.500 occurrences) est l’expression ‘aller à la pêche aux moules’. Elle connaît elle aussi quelques variantes : ‘aller à la pêche (tout court)’, ‘aller à la pêche aux écrevisses’, ‘aller à la pêche aux crevettes’ ou encore ‘aller à la pêche aux grenouilles’.

Géographiquement, elle est surtout employée par des francophones originaires du grand ouest de l’Hexagone et de l’extrême sud-est (Corse incluse).

Sans aucune tradition lexicographique, l’expression demeure également rare sur le web, du moins avec le sens imagé qui nous intéresse ici. Les seules attestations qu’on en trouve concernent une comptine éponyme (‘à la pêche aux moules’) originaire de Saintonge, qui a fait l’objet de plusieurs adaptations depuis sa création au 17e s., mais qui a été popularisée par Jacques Martin dans une émission de télévision au milieu des années 70 :

Aller aux fraises

La troisième position du podium est occupée par l’expression ‘aller aux fraises’, employée quasi-exclusivement par les locuteurs installés dans les départements de la frange orientale de l’Hexagone, à l’exclusion de l’Alsace (environ 1.000 réponses).

En français de référence, l’expression ‘aller aux fraises’ est connue avec des sens différents. Elle s’emploie comme synonyme de « errer sans but », mais aussi pour parler de « personnes à la recherche d’un coin tranquille pour se livrer à des ébats dans la nature ».

La variante ‘aller au cresson’ a été suggérée par des internautes de la région de Dijon. Sans tradition lexicographique, on en trouve quelques occurrences dans la littérature :

Les gens ne disaient plus que c’était un pantalon pour aller au cresson, comme celui de sa fille, ce qui traduisait leur état d’esprit.

Bernard Masson, Les Parisiens (1959)

Avoir de l’eau dans la cave

Dans les régions périphériques de la francophonie d’Europe, quatre expressions en lien avec des inondations, avec ou sans cave, sont en circulation. En Suisse romande, on entend surtout ‘avoir de l’eau à la cave’, et dans une partie de la Moselle c’est la tournure ‘avoir de l’eau dans la cave’ qui domine (tout comme au Canada). En Belgique, la variante majoritaire est ‘avoir de l’eau dans les caves’.

D’après le Dictionnaire des belgicismes, dont la 3e édition vient de paraître, une locution similaire est attestée en néerlandais : water in zjin kelder hebben, littéralement : « avoir de l’eau dans sa cave ».

Le fait que le tour soit connu dans les provinces francophones du Canada laisse penser qu’il ne s’agit pas d’un calque direct des parlers germaniques, mais que l’expression est archaïque. Il y a fort à parier qu’elle devait être connue naguère sur un territoire plus large en France, territoire qui englobait les régions de l’Île-de-France et du grand Ouest, d’où étaient originaires les colons partis peupler la Nouvelle-France au 17e s.

Enfin, en Alsace, on porte des ‘pantalons hochwasser‘ (littéralement « haute eau » en allemand, que l’on peut traduire par « inondation » en français) :

Notons que personne n’a suggéré dans notre enquête la version « pantalon inondation », mais qu’on en trouve des attestations éparses sur le web :

Le mot de la fin

D’un point de vue sémantique, toutes ces expressions sont métaphoriques. L’expression ‘avoir le feu au plancher’ (et ses variantes comme ‘pantalon feu de plancher’) fait référence à un pantalon qui aurait dû être raccourci après avoir été brûlé. Les expressions en lien avec des caves inondées rappellent qu’il est toujours plus agréable de marcher dans un fond d’eau après avoir relevé les bas de ses pantalons.

>> Vous en connaissez d’autres ? N’hésitez pas à nous dire sur les réseaux sociaux (on est sur FacebookInstagram et Twitter) comment vous dites ! Sinon, la section ‘commentaires’ sous ce billet accueille vos suggestions. Enfin, n’hésitez pas à répondre à l’un de nos questionnaires, vous nous aiderez à produire les nouvelles cartes !

C’est sans doute la même motivation en lien avec l’humidité qui explique l’expression ‘aller aux fraises’ (et sa variante ‘aller au cresson’), la cueillette des fraises sauvages se faisant préférentiellement le matin, dans les champs pleins de rosée.

L’application smartphone est là !

Avez-vous testé notre application mobile ? L’application Français de nos Régions est téléchargeable gratuitement et dès aujourd’hui sur l’Apple Store et Google play. N’hésitez pas à la tester, vous pouvez enregistrer votre voix et contribuer à la création d’un atlas sonore du français !

A propos Mathieu Avanzi

Mathieu Avanzi est linguiste. Il a défendu une thèse portant sur l'intonation du français en 2011, et effectué plusieurs séjours postdoctoraux en Belgique (Louvain-la-Neuve), en France (Paris), au Royaume-Uni (Cambridge) et en Suisse (Berne, Genève, Neuchâtel et Zurich). Après avoir été maître de conférences à Sorbonne Université (Paris IV) au sein de la chaire Francophonie et variété des français, il a été nommé professeur ordinaire à l'université de Neuchâtel, où il dirige le Centre de dialectologie et d'étude du français régional. Ses travaux portent sur la géographie linguistique du français, sujet auquel il a consacré plusieurs articles et ouvrages.

5 réponses

  1. Francis Muller

    Je confirme que l expression ‘avoir de l eau dans la cave’ était utilisée dans ma jeunesse à St Avold 57500 pour désigner qqn qui avait les pantalons trop courts.

  2. J.J.

    « Les seules attestations qu’on en trouve concernent une comptine éponyme (‘à la pêche aux moules’) originaire de Saintonge, »
    Ce n’est pas une simple comptine (À la pêche des moules, et non à la pêche aux moules) mais une danse, une espèce de rond ou d’avant-deux, à préciser,( je ne suis pas expert en danses traditionnelles).C’est un rythme vif, contrairement au rythme trainassou que lui avait infligé Jacques Martin et sa joyeuse cohorte.

  3. Philippe Blanchet

    On a jamais dit « aller à la pêche aux moules » en Provence! Enfin je veux dire entre Provençaux… De toute façon il n’y a pas de marée basse pour aller à la pêche aux moules en remontant son pantalon. Ceux et celles qui disent ça sont des Franchimands, ces Français de la moitié nord qui ont envahi la Provence.

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