Dénominations du ‘touriste’ en français régional

A l’intérieur de l’Hexagone, dans les régions où le tourisme est important, on aime se moquer des étrangers, surtout s’ils sont parisiens.

Dénominations du “touriste” ou de “l’étranger à la région”, d’après les enquêtes Français de nos Régions (2015-2023).

Dans certaines régions, on dispose même de mots précis pour désigner ces étrangers : monchûs en Savoie, doryphores dans le sud-ouest, baignassoutes en Vendée ou encore pinzutu en Corse. D’où viennent ces différents termes ? On fait le point…

Monchû

Le mot monchû est un régionalisme du français que l’on pratique uniquement en Savoie. Il s’agit d’un emprunt au francoprovençal (langue régionale que l’on parle dans la région de Lyon et de Genève, qui comprend les parlers savoyards, vaudois, fribourgeois, etc.). Etymologiquement, le mot monchû signifie “monsieur”, et désignait les gens de la ville qui venaient en montagne (il n’avait alors aucune connotation péjorative). Nous avions consacré un article plus complet à ce terme, qui a acquis une certaine popularité ces dernières années grâce aux réseaux sociaux.

Pinzutu

En Corse, un pinzutu c’est une personne qui vient de France hexagonale, autrement dit : “du continent”. Dans la lutte pour l’indépendance, les Corses ont défini leur identité par opposition aux Lucchesi – les Lucquois, façon péjorative de désigner les Italiens – et aux Pinzuti, d’autre part.

L’étymologie de ce sobriquet péjoratif n’est pas connue de façon certaine. Pour certains, l’adjectif pinzutu (« pointu ») aurait été choisi parce qu’il rappelle la forme du tricorne des soldats de Louis XV lorsqu’ils occupèrent la Corse en 1768; voire l’aspect du béret pointu du bataillon de chasseurs envoyés par Bonaparte et placés sous l’autorité d’un général français, le général Morand. D’autres préfèrent y voir une allusion à l’accent des gens du Nord, avec la prononciation de la finale des mots qui laisse, à l’oreille, une impression de froideur et de sécheresse.

Horsain

En Normandie, un horsain (au féminin, horsaine ou horsène) désigne un étranger au pays, quel qu’il soit. Aujourd’hui caractéristique du français de Normandie, où il est attesté depuis le XVIe s., le mot horsain est formé sur le français ‘hors’ (“dehors”), avec suffixe ‘‑ain’ (emprunté après réanalyse au mot “forain”). D’après le DRF, il semble avoir a été autrefois en usage dans une aire plus large (il est en effet attesté à date ancienne dans les régions d’Amiens et Yvelines).

Baignassou

Quant à la forme baignassout (le -t se prononce ou non), elle fait référence aux touristes aisés qui aiment la baignade en mer.

Etymologiquement, baignassou pourrait avoir été formé sur le verbe ‘baigner’, le suffixe ‘-ou’ marquant l’agentivité (celui qui fait l’action de se baigner). Quant à la présence du ‘-t’, elle pourrait s’expliquer par la popension qu’on avait dans cette région à ajouter des ‘-t’ à la fin de tous les mots qui terminaient par une voyelle (ici > icitte ; pourri > pourritte ; lit > litte, etc.)

Doryphore

En français général, un doryphore est un insecte assez coriace, qui se nourrit des feuilles de plantes sauvages ou cultivées, jusqu’à les faire mourir.

C’est sans doute par métaphore avec le nuisible que les locaux du sud de la France ont dénommé ainsi les touristes.

Le mot de la fin

Depuis des siècles, un conflit fait rage entre ceux de la Capitale, les Parisiens (ou Parigots, terme attesté en 1886 formé avec un suffixe péjoratif en ‘-(g)ot’) et ceux qui vivent “en région” (avant on disait en “province”, le mot renvoyant aux anciennes divisions administratives du Royaume, celles qui ont été remplacées par les départements après la Révolution Française de 1789).

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Un conflit qui s’exprime souvent linguistiquement (les Parisiens n’auraient pas d’accent, par rapport aux provinciaux dont le français serait coloré). Les termes présentés dans ce billet soulignent cet esprit de clocher si caractéristique à l’Hexagone. On est du coin ou on ne l’est pas. Et ils sont toutefois loin d’épuiser l’inventaire des possibles!

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A propos Mathieu Avanzi

Mathieu Avanzi est linguiste. Il a défendu une thèse portant sur l'intonation du français en 2011, et effectué plusieurs séjours postdoctoraux en Belgique (Louvain-la-Neuve), en France (Paris), au Royaume-Uni (Cambridge) et en Suisse (Berne, Genève, Neuchâtel et Zurich). Après avoir été maître de conférences à Sorbonne Université (Paris IV) au sein de la chaire Francophonie et variété des français, il a été nommé professeur ordinaire à l'université de Neuchâtel, où il dirige le Centre de dialectologie et d'étude du français régional. Ses travaux portent sur la géographie linguistique du français, sujet auquel il a consacré plusieurs articles et ouvrages.

4 réponses

  1. J.J.

    jjg@ Exact, c’est comme ça (entre autres “sobriquets”) que l’on surnommait les occupants à cause de la prédation forcenée, (“comme les doryphores sur les patates”). qu’ils pratiquaient, mais aussi haricots verts ou verts de gris à cause de la couleur de leurs uniformes.

    “Quant à la forme baignassout (le -t se prononce ou non), elle fait référence aux touristes aisés qui aiment la baignade en mer.” Pas seulement aisés, les touristes en général venus se baigner. Le T final à la fin d’un mot se prononce beaucoup dans l’ile d’Oléron, même parfois s’il n’y en a pas.

  2. Ah oui, cette vieille guéguerre entre parigots et pequenots…

    Mais en termes charmants pour les habitants de la capitale d’Ile-de-France il manque encore l’alsacien “barissa” (avec le ton sur le premier a), dégoulinant de mépris comme les frites dégoulinent d’huile chaude…

  3. Aurélien

    « [Les provinces] qui ont été remplacées par les départements après la Révolution Française de 1989 » : la coquille m’a amusé et me fait imaginer Jean-Paul Goude en Danton et Grace Jones en Olympe de Gouges…

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