Ce nouveau billet est consacré aux régionalismes du parler que l’on qualifie de “lyonnais”, mais qui peuvent s’entendre ailleurs (en fait, dans une zone dont les frontières correspondent au département du Jura au Nord, du Dauphiné au Sud, à la région du Forez à l’Ouest et à la Suisse romande à l’Est – les connaisseurs auront reconnu que l’on parle de l’aire où on parlait naguère francoprovençal, ou arpitan). Les régionalismes français de cette aire sont fort nombreux, et sont parmi les mieux documentés de la francophonie. Ici, nous n’en mentionnerons que quatre (on passera en revue les autres dans des prochains billets, vous pouvez déjà lire – si ce n’est pas déjà fait – ce billet consacré au “y” objet direct, comme dans la tournure “je vais y faire”).
Débarouler
Le verbe débarouler (on dit aussi débaruler ou débaroler, plus rarement barouler ou redebouler) signifie : “tomber en roulant” ou “dévaler à toute vitesse” (si quelqu’un débaroule les escaliers, c’est qu’il les descend précipitamment, ou qu’il est tombé dedans ; on peut aussi débarouler aussi une piste de ski). Si vous ne venez pas de la région lyonnaise, il y a peu de chance que vous utilisiez (ou que vous connaissiez) ce mot (c’est d’ailleurs l’un des rares régionalismes de ce parler que l’on ne retrouve pas dans le français de Suisse romande), comme le montre la carte ci-dessous :
Figure 1. Répartition et vitalité du verbe « débarouler » dans l’enquête Euro-2. Chaque symbole représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
C’est quelle heure ?
Il existe de nombreuses manières de demander l’heure, mais la variante avec “c'” au lieu de “il” (comme dans “il est quelle heure”) est caractéristique du français parlé dans la région lyonnaise (même la page Wikipédia consacrée au régionalismes de Lyon et de ses alentours recense la tournure !). Personnellement, ce n’est qu’une fois avoir fait cette carte que je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un régionalisme (je suis originaire de la vallée de la Maurienne, en Savoie, et j’ai toujours pensé que tout le monde disait comme moi !).
Figure 2. Répartition et vitalité de l’expression « c’est quelle heure » dans l’enquête Euro-2. Chaque symbole représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
Etendage
Alors que dans le grand ouest de la France on appelle la structure métallique sur laquelle on suspend son linge quand il sort de la machine pour le faire sécher un “tancarville” (en référence à la forme d’un pont situé dans la ville de Tancarville, v. notre précédent billet), dans la région Rhône-Alpes, on appelle ça un “étendage” (ma mère disait un “étend-de-linge”, sans doute une déformation par étymologie populaire). Le mot est aussi connu et employé dans la partie méridionale de la Suisse :
Figure 3. Répartition et vitalité du mot « étendage » dans l’enquête Euro-2. Chaque symbole représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
Caïon (ou cayon)
Ce mot d’origine inconnue désignait dans les patois francoprovençaux le porc d’élevage, et par extension la viande que l’on produit à partir de cette animal. Il n’était pas connu dans les autres dialectes gallo-romans, comme le montre la carte ci-dessous, générée à partir des données de l’Atlas Linguistique de France (les données ont récoltées autour des années 1900) :
Figure 4. Répartition et vitalité du type lexical « caïon » d’après la carte 1061 de l’ALF. Chaque point représente la réponse d’un témoin.
En français contemporain, le mot est connu par seulement 25% des répondants originaires des deux Savoie, et un peu moins sur les autres territoires à substrat francoprovençal, comme on peut le voir à partir des données obtenues à la suite de notre enquête :
Figure 5. Répartition et vitalité du mot « étendage » dans l’enquête Euro-2. Chaque symbole représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
Les événements à l’occasion desquels on utilise le mot caïon pour nommer une fête villageoise durant laquelle on rend hommage à la bête autour de la dégustation de sa chair (la « fête du caïon » et son célèbre « concours du cri du cochon » ont lieu chaque année à Annecy (v. la page Facebook de l’événement 2016) ; dans la Broie, on célèbre la « Saint-Caïon » tous les deux ans, v. notamment cet article) devraient contribuer à ce que le mot ne sombre pas définitivement dans l’oubli.
Quel français régional parlez-vous ?
Pour participer aux enquêtes et nous aider à en savoir plus sur la vitalité et l’aire d’extension de certains régionalismes du français (notamment de la région Rhône-Alpes), cliquez ici !
Chez nous (Haut-Doubs) le cayon désigne un gros dérangement. “il a foutu le cayon dans la cuisine” (= tout est sens dessus dessous); “cette fête c’était le vrai cayon”
“Cette fête c’était le vrai cayon” = il y avait de la viande saoule, etc…) Je pense que son sens (assez négatif) a à voir avec la porcherie.
De la “viande saoule”, je ne connais pas cette expression-ci. Vous voulez bien me l’expliquer, svp ?
La viande saoule, ce sont des individus qui ont abusé de boissons alcoolisées.
Très drôle : je n’imaginais pas que quelqu’un puisse ignorer cette expression
Bonjour, cette expression désigne le fait que des personnes étaient fortement éméchées. (Avaient trop bu d’alcool)
Mon père étant lyonnais / viennois, j’ai hérité de quelques expressions locales…
Ainsi ce sont les âniers qui viennent ramasser les ordures ménagères ; on utilise un bacha pour servir des biscuits à l’apéritif (ou donner de l’eau à un animal).
Sans compter sur l’accent mais ça passe nettement moins bien.
“Débarouler” pour ma part (moi qui ne suis pas du tout lyonnaise) n’appartient pas à mon vocabulaire actif, mais je l’ai appris, découvert via Kaamelott (Alexandre Astier étant, lui, lyonnais), je pense que ce mot a gagné du terrain – au moins du côté de sa connaissance passive – grâce à ce biais…
ah excellent ! merci pour cette anecdote ! comme quoi la télévision n’a pas que l’effet négatif d’uniformiser le français, elle permet de faire connaître des régionalismes !
l’un des personnages de Kamelott est joué par Serge Papagalli, acteur et metteur en scène dauphinois qui joue beaucoup de régionalismes lexicaux ou phonétiques
“Débarouler” pour ma part (moi qui ne suis pas du tout lyonnaise) n’appartient pas à mon vocabulaire actif, mais je l’ai appris, découvert via Kaamelott (Alexandre Astier étant, lui, lyonnais), je pense que ce mot a gagné du terrain – au moins du côté de sa connaissance passive – grâce à ce biais…
Quand j’ai rencontré mon mari, nous nous sommes chamaillés sur l’objet sur lequel on étend le linge. Il est Lyonnais et il dit étendage, et moi je dis étendoir. On a même regardé dans le dictionnaire, pour se rendre compte que les deux se disent.
Je suis quasi certaine que j’ai entendu dans ma région (Grenoble) le pronom “lui” employé au lieu du pronom “le” mais je suis incapable de trouver un exemple. Je serais très contente si je pouvais en tenir un! Merci.
[…] de la Gaule, la ville des Lumières (les frères et la fête) et un lieu merveilleux où dire « C’est quelle heure ? » est parfaitement accepté, d’ailleurs on vous répondra peut-être même […]
[…] Le mot, considéré comme typique du parler de Lyon et de sa région (on vous en parlait déjà dans ce billet), signifie « tomber en roulant » : on débaroule les escaliers ou une piste […]
Etant originaire de Rhône-Alpes, toutes ces expressions me sont familières. Pour le “c’est quelle heure?”, je me souviens d’un été passé au Canada (Ontario) autour de 1995 où je faisais un travail d’été dans une ferme. Les autres jeunes étaient deux parisiens et un québécois. Et je me souviens bien des surprises mutuelles dans l’emploi des mots dont beaucoup étaient associés à la vie quotidienne à la campagne (que je ne soupçonnais pas d’être des régionalismes lyonnais-savoyards), comme:
– un coulant (j’ai découvert qu’en “parisien’ c’était un ‘rond de serviette’..)
– un pot d’eau (broc à eau ou pot à eau pour les parisiens, un pichet je crois pour les québécois)
– le cagnard (le soleil), en plein cagnard
– un cayon (un cochon, dans le sens de quelqu’un de sale)
– un gadin (une pierre)
– les grolles (chaussures de travail), et ‘traîner la grolle’
– la panosse (pour serpillère)
– une pate ou patoche (pour un chiffon de cuisine)
– gnaquer (se faire gnaquer, se faire mordre légèrement par un chien, ou bien pincer)
– les oignons (prononcés ouagnons)
– des carottes rouges (betteraves)
etc…
C’est là où j’ai appris que le blé d’inde était le maïs des Québécois.
Quand j’étais en élémentaire, le maître nous expliquait que durant le blocus au temps de napoléon, les français avait trouvé moyen de faire du sucre à partir de betterave. Je ne savais pas ce que c’était, des betteraves. Ce n’est qu’à l’âge d’environ 15 ans que j’ai su que j’en mangeais constamment, ce ne sont que des carottes rouges.
Pour moi, Lyonnaise d’autrefois, le cagnard , c’est cette terrasse ou ce bout de jardin , souvent en encoignure, où le soleil cogne autant qu’il peut. Ma belle-mère – qui aurait 115 ans maintenant – avait coutume de repousser le choix d’un endroit trop ensoleillé (pour une pause ou un pique-nique) avec cet argument : On va être en plein cagnard!
Bonjour,
Ici, dans la région de Québec, on dit “débouler” l’escalier.
[…] des spécificités du français du Grand Ouest (vol. 1 et vol. 2), du Nord-Pas-de-Calais et de la région de Lyon, nous voici enfin amenés à traiter des particularités locales du français que l’on parle […]
C’est quelle heure?
Une fois, j’étais à la Rochelle et à une fille je demande: C’est quelle heure? Elle m’a répondu qu’elle ne comprenait pas la question. Je n’avais jamais entendu dire autrement, à part dans la comptine, quelle heure est-il, madame persil, qui déjà m’énervait quand j’étais gone car est-il ne rime pas avec persil, vu qu’on ne prononce pas les l en fin de mot (sourcil, fournil, outil, chenil, etc.)