Le canton de Vaud

Pour un étranger, l’accent romand le plus emblématique est celui du canton de Vaud. Dans ce billet, nous nous intéressons à des deux spécialités du français parlé dans ce canton.

La mouillure des finales féminines

Sous cette appellation un peu barbare, on désigne la prononciation finale -éye des mots qui se terminent en -ée, les mots comme dictée, journée, prononcés dictéye, journéye. Pour distinguer le masculin du féminin, le français de Suisse romande oppose les voyelles brèves (mangé [e]) et les voyelles longues (mangée [e:]), comme on le faisait en français parisien jusqu’au 19ème siècle (c’est aussi la règle dans la plupart de nos patois francoprovençaux). Parfois , il arrive que cet allongement provoque une diphtongaison de la voyelle, c’est-à-dire l’apparition d’un [j] final [e:j]. Aujourd’hui, si cette particularité survit fort bien dans le canton de Vaud, elle demeure assez vivante dans le canton de Genève, et est attestée dans toutes les localités périphériques du canton de Vaud. C’est du moins ce que montre la carte ci-dessous:

 

éye

Répartition et vitalité du de la prononciation journée, dictée avec un e mouillé, c.-à-d. journéye, dictéye. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR) ou canton (CH) est élevé.

Comment expliquer le maintien d’un tel phénomène ? Une des hypothèse serait que cette prononciation continue de se transmettre sous l’influence des instituteurs, qui se servent de cet indice dans les dictées, pour sensibiliser les élèves aux règles d’accord.

Le ça ‘vaudois’

Une autre particularité, qui touche non pas à la prononciation cette fois-ci, mais à l’ordre des mots, concerne le ça dit ‘vaudois’, un ça que l’on peut entendre dans des phrases comme : il veut ça manger, il ça prend. En français standard, l’équivalent de ces phrases serait : il veut manger ça ; il prend ça. La carte ci-dessous, générée à part des résultats des enquêtes « le français de nos régions », nous permet de préciser l’aire d’extension de ce phénomène syntaxique. Sans surprise, c’est dans le canton de Vaud que l’usage de ce ça « exotique » est le plus fréquent. Mais on peut l’entendre également dans le canton de Fribourg, et plus sporadiquement ailleurs:

ça_V.png

Répartition et vitalité du « ça » dit « vaudois » dans l’enquête Alpes et Jura. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR) ou canton (CH) est élevé.

Selon toutes vraisemblance, l’existence de ce ça serait due à une interférence avec les patois locaux. Dans le patois du canton de Vaud,  le pronom cein (équivalent de notre ça), se place avant le verbe (on m’a cein contâ – on m’a ça raconté ; on pâo pas cein dèvortolyî – on ne peut pas ça détortiller, exemples tirés de l’ouvrage Le patois vaudois de Reymond & Bossard, 1982). La règle du patois aurait été adaptée en français, et aujourd’hui la forme continue d’exister.

Faites-vous partie des gens qui utilisent ces expressions? Dites-le-nous en participant à l’une de nos enquêtes !

A propos Mathieu Avanzi

Mathieu Avanzi est linguiste. Il a défendu une thèse portant sur l'intonation du français en 2011, et effectué plusieurs séjours postdoctoraux en Belgique (Louvain-la-Neuve), en France (Paris), au Royaume-Uni (Cambridge) et en Suisse (Berne, Genève, Neuchâtel et Zurich). Après avoir été maître de conférences à Sorbonne Université (Paris IV) au sein de la chaire Francophonie et variété des français, il a été nommé professeur ordinaire à l'université de Neuchâtel, où il dirige le Centre de dialectologie et d'étude du français régional. Ses travaux portent sur la géographie linguistique du français, sujet auquel il a consacré plusieurs articles et ouvrages.

4 réponses

  1. Bonjour,
    En Franche-Comté du Sud, le çà est remplacé par un y placé au même endroit. je ne sais pas si cela va dans votre étude. Exemples:
    Il veut bien y faire (Il va bien faire cela), il y prend et il y lance (Il prend cela et le lance), il y mange (il mange cela), etc…

  2. Arnaud

    Le ça vaudois ne serait-il pas également un germanisme grammatical ? Pour des phrases courtes comme « il ça prend » ce n’est pas flagrant, par contre l’exemple « il veut ça manger » est frappant, surtout lorsqu’on pense au suisse-allemand non ?
    Merci pour votre travail passionnant c’est un régal de lire vos lignes inspiréyes !

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