Comment dit-on 80 en Belgique et en Suisse ?

Dans un précédent billet, on vous expliquait qu’il existe en français d’Europe deux formes pour les cardinaux 70 et 90, et que ces deux formes relèvent de deux façons de compter différentes : un système de numération utilisant la base de 10 (le système décimal, déjà employé en latin, dont relèvent les formes en -ante : soixante~60, septante~70, huitante/octante~80, nonante~90 etc.) et un système de numération utilisant la base de 20 (le système vigésimal, beaucoup plus répandu en ancien français qu’en français moderne, dont relèvent des tournures comme trois-vingts~60, trois-vingt-dix~70, quatre-vingts~80, quatre-vingt-dix~90, etc.).

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Dans ce billet, nous avions vu également qu’à l’heure actuelle, les formes septante et nonante n’étaient plus usitées que par les locuteurs du français de Belgique et de Suisse, alors qu’elles étaient encore bien vivantes il y a un siècle de cela dans les départements de France bordant l’Alsace, la Suisse, l’Italie et l’Espagne. Aujourd’hui, nous allons parler du cardinal 80, dont la singularité explique qu’on lui consacre tout un billet.

Le mythe d’octante

Selon une idée communément admise, en français de Belgique et en français de Suisse, c’est le terme octante que l’on utiliserait pour exprimer à l’oral ou à l’écrit le cardinal 80. Il s’agit d’un préjugé qui a la vie dure, colporté par des personnes n’ayant qu’une vague idée de ce que disent vraiment leurs voisins helvètes et wallons. Revue (non exhaustive) de quelques tweets :

Sans doute ces twittos s’imaginent-ils que puisque les Belges et les Suisses utilisent septante et nonante, ils utilisent forcément octante par analogie, car c’est plus « pratique » ou plus « logique » :

Ce serait toutefois aller un peu trop vite en besogne que de faire porter le chapeau aux twittos. Selon toutes vraisemblances, le préjugé auquel nous cherchons à tordre le cou trouve ses origines dans de nombreux dictionnaires de référence, comme le Trésor de la Langue Française ou l’une des nombreuses éditions du Petit Larousse :

OCTANTE, adj. numéral cardinal Vx, p. plaisant. ou région. (notamment Suisse romande, midi de la France, Canada français) [TLFi, consulté le 25.03.2017]

octante. adjectif numéral cardinal (ancien français uitante, avec l’influence du latin octoginta, de octo, huit). Quatre-vingts, en Suisse romande, en Belgique et au Canada [Larousse, consulté le 25.03.2017]

Certains travaux scientifiques spécialisés dans l’étude des régionalismes du français nous apprennent pourtant qu’en réalité, les faits sont bien différents :

Un certain nombre de sources affirment que le synonyme (et doublet) octante est encore employé en Suisse romande […]. Or, de nos jours, cette forme n’est plus du tout employée […] dans quelque canton que ce soit [Dictionnaire suisse romand, 1996², p. 458]

Dans le cadre de nos enquêtes sur Le français de nos régions, nous avons voulu vérifier empiriquement ce qu’il en était. Pour ce faire, nous avons proposé la question suivante « Comment prononcez-vous le chiffre 80 ? », et l’avons fait suivre de trois réponses possibles : « quatre-vingts », « huitante » et « octante ». Sur les 15.000 internautes ayant répondu à cette question, seuls 57 ont coché la réponse « octante ». Le pourcentage que cela représente est si bas qu’il n’a pas permis que l’on puisse réaliser une carte spécifique pour cet item. Nous avons toutefois signalé la localisation de ces répondants par des symboles de couleur mauve sur la carte ci-dessous :

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Figure 1. Attestations du mot « octante » dans les enquêtes AJ-1 et Euro-2. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants.

Un petit détour dans l’Atlas Linguistique de France (ALF), publié à une époque où la plupart des ruraux parlaient encore le patois, nous indique qu’en dialecte, à la fin du 19e siècle, octante n’était utilisée par personne, ou du moins par pas grand monde. On ne compte en effet que 7 attestations de la forme, éparpillées sur l’ensemble de la France septentrionale. Les témoins utilisant une forme du système décimal employaient le type huitante (ou l’une de ses variantes otante, utante, oitante, etc.), et étaient tous établis à la périphérie du territoire galloroman :

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Figure 2. Les dénominations du cardinal « 80 » d’après la carte 1113 de l’ALF. Chaque point représente la ou les réponse(s) d’un témoin.

Pour mémoire, les formes septante (de même que nonante, v. notre précédent billet) occupaient un espace beaucoup plus étendu à la fin du 19e siècle, ce qui laisse penser que sur cette partie du territoire, le type vigésimal avait supplanté le type décimal depuis un bon moment. Comparer en effet la carte 2 ci-dessus avec la carte 3, qui montre la vitalité et la répartition du type lexical septante d’après l’ALF, ci-dessous :

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Figure 3. Les dénominations du cardinal « 70 » d’après la carte 1240 de l’ALF. Chaque point représente la ou les réponse(s) d’un témoin.

Rappelons aussi que contrairement à ce que l’on peut lire sur certains ouvrages ou blogs de vulgarisation scientifique (comme celui-ci), la forme octante n’est pas plus ancienne que la forme huitante et ses variantes. La forme octante est une forme savante, qui après être restée assez discrète au Moyen-Âge, a connu une large diffusion aux 16e-17e siècles, pour retomber ensuite dans une relative désuétude. D’après les dictionnaires de l’époque, octante était essentiellement employé dans le domaine de l’arithmétique. Si le mot a survécu jusqu’à nous, il y a fort à parier que c’est parce qu’il était utilisé par les instituteurs pour faciliter l’apprentissage du calcul aux petits Français. À témoins les extraits suivants, tirés pour le premier des Instructions officielles de 1945, du journal La croix des 17-18 novembre 1979 pour le second :

Les noms des nombres présentent, comme l’on sait, des anomalies ; il peut être avantageux d’employer d’abord les noms qui seraient logiques […]. De même utiliser septante, octante et nonante au lieu de soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix. Des leçons complémentaires de vocabulaire feront ensuite correspondre à ces noms théoriques les noms de notre français courant [Source].

D’après la façon dont s’exprimaient les paroissiens, on savait instantanément ceux qui naguère avaient été à l’école publique et ceux qui avaient fréquenté l’école chrétienne. Ceux de «la laïque» comptaient: soixante-dix, quatre-vingts, quatre-vingt-dix; ceux de «l’école libre» comptaient: septante, octante, nonante [Source].

La vitalité de huitante 

Aujourd’hui, si personne n’utilise la forme octante, il n’en est pas de même pour la forme huitante, qui connaît une vitalité élevée en Suisse romande, comme le montre la carte ci-dessous :

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Figure 4. Répartition et vitalité du mot « huitante » dans les enquêtes AJ-1 et Euro-2. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants. Plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.

En fait, il serait plus correct de dire que la forme huitante est courante dans certaines parties de ce territoire uniquement. Comme on peut le voir sur la carte ci-dessus, dans les cantons de Vaud, de Fribourg et du Valais, les pourcentages d’informateur ayant déclaré utiliser la forme huitante se situent entre 77,4 et 82,4% (rappelons que dans ces cantons, huitante est également en usage à l’école et dans l’administration). Il n’est pas impossible de l’entendre ailleurs, mais c’est plus rare (les pourcentages atteignent 13,2% à Genève et 6,9% dans les cantons de l’arc Jurassien).

Saviez-vous que la forme huiptante existe également ?

Le mot huiptante, qui s’explique par alignement analogique sur septante, est attesté dans le parlé français de Jersey (une île anglo-normande) et même de l’autre côté de l’Atlantique, dans quelques villages de la Nouvelle-Ecosse !  Dans le reste du Canada francophone en revanche, on dit « quatre-vingts » (n’en déplaise à certains dictionnaires).

Dans les dialectes galloromans, on l’a vu plus haut (Figure 2), le type huitante et ses variantes étaient connus et employés essentiellement en Suisse romande, et sporadiquement dans la partie méridionale de la France. On en trouve notamment une attestation du type utante dans l’ouest de la Wallonie (à Malmédy, point 191 de l’ALF). Nous avons cherché à vérifier ce qu’il en était dans les enquêtes conduites (en vue de l’établissement de l’Atlas Linguistique de Wallonie) par J. Haust et ses successeurs. La consultation des carnets d’enquête, mis à notre disposition par Esther Baiwir, nous a permis de rendre compte du fait que le point de l’ALF n’était pas un artefact :

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Figure 5. Les dénominations du cardinal « 80 » dans les dialectes de Wallonie, d’après les enquêtes de J. Haust et successeurs (données inédites). Chaque point représente la ou les réponse(s) d’un témoin.

Comme on peut le voir sur la carte 5, plusieurs témoins établis dans les provinces belges du Luxembourg et de Liège ont affirmé employer le type utante lorsqu’ils parlaient patois (accessoirement, on peut voir quelques attestations du type octante dans le reste du pays).

Sur ce point, la Belgique se différencie donc de la Suisse. Alors qu’en Suisse la forme décimale était répandue dans les dialectes et qu’elle s’est maintenue en français, en Belgique, la forme décimale n’était connue que dans certains dialectes de l’ouest, et ne s’est pas maintenue en français régional.

Le saviez-vous ?

On dit souvent qu’en raison de ses formes hybrides (soixante-dix) et vigésimales (quatre-vingts, quatre-vingt-dix), le système du français n’est pas « logique » quand on le compare aux autres langues (indo-)européennes, qui présentent des paradigmes plus réguliers.

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Cette assertion doit être nuancée. Saviez-vous p. ex. que dans certains dialectes d’Italie, on retrouve les traces d’un système vigésimal ? La carte ci-dessous a été générée à partir des données de l’Atlas linguistique et ethnographique de l’Italie et du sud de la Suisse (Sprach- und Sachatlas Italiens und der Südschweiz ou AIS, publié de 1928 à 1940, à partir d’enquêtes effectuées entre 1919 et 1935).

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Figure 6. Les dénominations du cardinal « 80 » d’après la carte 303 de l’AIS. Chaque point représente la ou les réponse(s) d’un témoin.

Comme on peut le voir, le système vigésimal n’est pas inconnu dans certains dialectes de l’Italie : il est attesté dans la région de Turin dans le Piémont (sans doute en raison de la proximité avec la France), dans les Abruzzes (milieu de la Botte) mais aussi dans de nombreux points à l’extrême sud du pays : en Calabre, en Sicile et dans les Pouilles ! D’après les notes de l’AIS, il semblerait que l’usage des cardinaux soit spécialisé pour parler de l’âge et le comptage du bétail.

Avez-vous remarqué ?

Au point 784 (commune de Benestare, le carré vert sur notre carte), les enquêteurs de l’AIS ont enregistré la forme peninda-trenta (« peninda » signifiant « cinquante » en grec). A la question « 90 », les enquêteurs ont même enregistré la réponse cientu menu deçi (« cent moins dix », qui traduit peut-être le chiffre romain « XC »).

En résumé…

En Belgique comme en France, 80 se dit quatre-vingts ; tandis qu’en Suisse, si tout le monde comprend quatre-vingts, on préfère dans certains cantons la forme concurrente huitante. Quant à octante, il s’agit d’une forme savante qui a connu son apogée aux 16e-17e siècles, mais qui n’a jamais vraiment réussi à s’imposer, et qui ne survit aujourd’hui que dans l’imaginaire linguistique de certains francophones…

Si ces questions vous turlupinent, vous pouvez consulter ce site, qui propose un inventaire des langues présentant un système vigésimal (v. aussi la page Wikipédia consacrée au système vigésimal). Pour aller plus loin, vous pouvez consulter cet ouvrage consacré aux numéraux dans les langues indo-européennes.

Ce billet vous a plu ?

Aidez-nous en participant à l’une de nos enquêtes sur les régionalismes du français (pour participer à la dernière enquête, c’est par ici et ça prend moins de 10 minutes), vous nous aiderez ainsi à améliorer la fiabilité de nos résultats et donc de nos cartes. Si vous voulez être tenus au courant des prochaines publications, n’hésitez pas à vous abonner à notre page Facebook !

A propos Mathieu Avanzi

Mathieu Avanzi est linguiste. Il a défendu une thèse portant sur l'intonation du français en 2011, et effectué plusieurs séjours postdoctoraux en Belgique (Louvain-la-Neuve), en France (Paris), au Royaume-Uni (Cambridge) et en Suisse (Berne, Genève, Neuchâtel et Zurich). Après avoir été maître de conférences à Sorbonne Université (Paris IV) au sein de la chaire Francophonie et variété des français, il a été nommé professeur ordinaire à l'université de Neuchâtel, où il dirige le Centre de dialectologie et d'étude du français régional. Ses travaux portent sur la géographie linguistique du français, sujet auquel il a consacré plusieurs articles et ouvrages.

21 réponses

  1. Paul Lalonde

    Oui, en effet, parmi les Acadiens néo-écossais de la région d’Argyle, on dit septante, huiptante et nonante. C’est un usage qui semble à se répandre dans les communautés acadienne de la Nouvelle-Écosse grâce, sans doute, à l’effet d’une radio communautaire qui relie ces communautés linguistiques minoritaires et isolées.

  2. La Bible de Louvain a le mot «octante.» Les livres de Calvin, un Picard exporté en Suisse, ont aussi «octante.» Il ne s’agit pas nécessairement d’un mot savant. Car on dit «nonante» et non «neuvante.» En wallon, c’est «utante», et cela a dû être mis par écrit «octante» pour «huitante.» La question n’est pas si les Suisses comprennent ou non les inepties parisiennes, mais plutôt s’ils les utilisent (ou non) de façon spontanée, entre eux. Le mythe du système vigésimal ne tient pas la route. (Demandez aux Bretons.) On dit «quarante», jamais «deux vingts.» Il s’agit plutôt du jeunisme. Aujourd’hui, dans le Condroz, les vieux évitent à tout prix le mot «soixante», car ça leur rappelle leur âge, et ça ne leur plaît pas. (Ils disent «trois fois vingt.») Dans le temps, les gens ont dû être trop gênés de dire qu’ils avaient 77 ans, alors ils disaient «dans les soixante. – Soixante-combien? – Soixante-dix-sept.» Ainsi de suite avec les 4×20 et 4x20x19. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures.

    En Belgique, au début du XXe siècle, les religieuses françaises qui avaient refusé la séparation entre la religion et l’état ont émigré massivement en Belgique, et de ce fait ont enseigné le français dans les écoles. Elles sont à la base de l’éradication du mot «huitante.»

    Personnellement, j’ai toujours parlé et écrit en base dix. Comme les Anglais ont oublié leur «fourscore and ten», les Parisiens devraient faire de même.

    1. Jean d’Outremeuse (qui n’était pas parisien) écrivait en roman lîgeois et utilisait fréquemment le système vicésimal, écrivant les multiples en toutes lettres suivis de XX. Je dispose aussi de copies de documents relatifs à la SNCV datant de la fin du XIXe siècle qui utilisent soixante-dix. Laissons donc ces pauvres parisiens en dehors de cette histoire. Ils ne sont pas les seuls coupables. Ceci dit, si on doit tordre le cou à quatre-vingts, substituons-lui octante et non huitante pour rester en ligne avec la formation latine des autres dizaines.

  3. Patrick Pollet

    je suis tombé par hasard sur votre blog, et bien qu’étant de nationalité helvétique, je n’ai jamais rencontré la forme huiptante. Par contre la forme huitante est commune dans bien des cantons de langue française. Moi j’aime bien et puis ça chante quand on le dit 🙂

  4. intéressant, étonnamment  » le 10- sur-cent » existe aussi en russe ( donc langue toujours indo-européenne, mais de la branche slave).
    Le système est à peu près régulier, mais avec quelques bizarreries:
    10, 20 = deux dix, 30 = 3-dix.. avec des prononciations  » raccourcies » de 10
    40 = exception!
    50 = 5-dix, 60= 6-dix, 70= 7-dix, 80 = 8 – dix… mais avec une forme de 10 raccourcie différemment des chiffres avant 40.
    90 = 10-sur-cent ( avec en plus une évolution phonétique qui l’a fait ressembler à « 9-sur-cent »)

    Et le 40? attention, c’est spécial:
    сорок ( sorok). Apparemment, c’était le nom spécifique dans un temps passé du sac qui servait aux chasseurs à transporter les fourrures et en contenait exactement 40. Le nom du contenant est devenu le chiffre employé couramment. J’ai « sac à fourrures+1 ans », mais en avril, j’aurai « sac à fourrures+2 ans »! 😀
    Comme quoi toutes les langues ont leurs bizarreries, et le français n’en a pas toujours la palme! 😀

  5. Ashley J. Hart

    Juste pour information, votre article a une énorme faute à propos de la Belgique. Nous disons « quatre-vingt » et non octante, je ne sais pas d’où vous sortez ça, mais jamais de ma vie je n’ai entendu les gens en Belgique dire octante. Je suis moi même Belge

  6. […]  Selon une idée communément admise, en français de Belgique et en français de Suisse, c’est le terme octante que l’on utiliserait pour exprimer à l’oral ou à l’écrit le cardinal 80. Il s’agit d’un préjugé qui a la vie dure, colporté par des personnes n’ayant qu’une vague idée de ce que disent vraiment leurs voisins helvètes et wallons. En savoir plus : https://francaisdenosregions.com/2017/03/26/comment-dit-on-80-en-belgique-et-en-suisse/ […]

  7. J.J.

    Quand j’apprenais la numération à mes élèves de CP, arrivé à 70 (après avoir « appris »quarante, cinquante soixante, je continuais avec septante octante (qui semble hérétique à certains …) nonante, qui me semblaient plus logiques. Et ça fonctionnait bien, au grand désespoir de mes collègues que cet anti conformisme choquait. ensuite, les enfants n’avaient aucune peine à assimiler les soixante dix, quatre vingt , quatre vingt dix, un peu moyenâgeux ( cf les quinze vingt, hôpital crée par Louis IX).

  8. sopoupou

    Mince! Et les Bruxellois là-dedans? On n’existe pas?
    Dis, chouke, toi qui as étudié à LLN tu dois bien savoir qu’en parlant du français de Belgique, tu ne peux pas résumer ensuite en « leurs voisins wallons ».
    Les francophones de Belgique ne sont pas tous wallons, hein! 😀

    Personnellement, je suis incapable d’utiliser soixante-dix et quatre-vingt-dix. Je m’emmêle les pinceaux. Mais je serais prêtre à faire tous les efforts du monde pour passer à huitante – ou octante si on décidait d’opter pour lui puisque tout le monde semble plutôt l’aimer.

    Petite anecdote: je m’étonnais qu’un ami français récemment arrivé en Belgique se soit si facilement adapté au septante et nonante. Il m’a expliqué qu’ayant bossé à la bourse de Paris, ils leurs étaient interdit d’utiliser soixante-dix et quatre-vingt-dix parce que ça peut créer d’énormes erreurs.

    Grand merci pour cet article ainsi que pour celui sur septante et nonante. C’est très instructif.

  9. Lucas Schneeb

    Et d’où viendrait l’usage du système vigésimal ? Est-ce que les gens comptaient sur leurs doigts de pieds en plus de ceux de la main en France ? En tout cas en Suisse on s’est arrêté aux doigts de la main, quand bien même raffole-t-on tout autant de fromage …

  10. Nicolas Sennequier

    Bonjour,

    Merci Mathieu pour cet intéressant billet, et merci à tous pour les commentaires. Je m’intéresse depuis peu à septante-hui/octante-nonante pour avoir décidé d’abandonner les formes peut-être trop parisiennes “soixante-dix” (etc).

    Pour étendre la contribution de Purplevelvet concernant le russe, on retrouve le système vicésimal :
    – en basque, en version intégrale. “Laurogeita hamazazpi” est l’équivalent de quatre-vingt-dix-sept (voir https://fr.wiktionary.org/wiki/laurogeita_hamazazpi)
    – en danois, sous forme de vestige : 50 (“halvtreds”) est un raccourci phonétique de “la moitié du 3è fois 20” (voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Danois#Nombres)

    Nicolas

  11. Le système vicésimal est flagrant en breton. On dira ugent pour vingt ; daou ugent (littéralement deux vingt) pour quarante, tri ugent (trois vingt) pour soixante, pevar ugent (quatre vingt) pour quatre vingt. De même, on dit dek ha tri ugent (dix et trois vingt) pour soixante-dix et dek ha pevar ugent pour quatre-vingt dix.
    Le breton est une langue celtique, essentiellement celtique insulaire (des îles britanniques) mais mâtinée d’influence celtique continental (gaulois). Et d’ailleurs, le gaulois utilisait aussi le système vicésimal.
    Cela pour dire que le français a conservé ce système qui découle d’une influence (ou substrat) celtique. Alors qu’en Suisse et en Belgique, le contact des langues germaniques a été plus prégnant.

  12. Robert Massart

    J’apprécie beaucoup ce blog. Ce chapitre m’a été bien utile pour enrichir un « atelier » que je donnerai le 7 février dans une institution bruxelloise dans le cadre du « Français en question(s) » : La numération en francophonie. Bien évidemment, les Belges de langue française ignorent les formes octante et huitante, nous disons quatre-vingts. La forme « ûtante » survit en wallon oriental (de la région de Liège) et seulement du côté de la petite ville de Malmedy. Les autres variétés wallonnes disent « quatre-vingts ». En France, les deux systèmes de comptage ont coexisté longtemps, au moins jusqu’à la fin du 17e siècle. Les Gaulois, comme tous les Celtes, utilisaient le système vigésimal (ou vicésimal), donc en base vingt. Sur le territoire de la Gaule, les Basques faisaient de même. Peut-être comptaient-ils, en effet, en prenant comme base d’appui ou de références tous leurs doigts, ceux des mains et ceux des pieds. Les Romains ont apporté leur système décimal (méditerranéen) donc en base dix. Le décimal, c’était la modernité, la grande civilisation (gréco-latine). Le comptage par dix s’est répandu partout en Gaule, mais l »ancien système par vingt a résisté dans des régions plus rurales, moins urbanisées. Toutefois les Français connaissaient les deux. Au 17e siècle, par exemple, Monsieur Jourdain (Le Bourgeois gentilhomme) fait ses comptes en parlant de « six-vingt louis » (120) et plus loin de « trois-cent septante-neuf livres) (III, 4). N’oublions pas le fameux hospice des Quinze-Vingts, fondé par saint Louis (Louis IX), Paris, pour héberger trois-cents aveugles. Mais en 1647, à Versailles, un certain Claude Favre, seigneur de Vaugelas (Est de la France) publie des Remarques sur la langue française, un ouvrage par lequel il entend donner des recettes aux courtisans pour ne pas se ridiculiser en parlant. L’auteur appelle cela « le bon usage » (mot qui fera florès en Belgique). Vaugelas se rend compte que les nobles utilisaient de préférence un certain nombre de formes archaïques : soixante-dix, quatre-vingts, quatre-vingt-dix. Les nobles, gens de la terre, de la campagne, étaient très conservateurs. Dès lors, Vaugelas tranche en leur faveur. C’est à partir de là que les formes « modernes », latines, décimales, seront proscrites, reléguées au rang de régionalismes. En Belgique, « la mode Vaugelas » n’a apparemment prévalu que pour quatre-vingts ce qui fait que nous utilisons le système le plus complexe, une sorte de compromis entre les deux.

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