Petit guide linguistique à l’usage des gens du Nord en vacances dans le Sud de la France

Sur nos pages Facebook et Instagram (abonnez-vous, si ce n’est pas déjà fait), comme dans quelques-uns des précédents billets de ce blog (v. ce billet ou celui-ci), nous avons publié de nombreuses cartes prouvant que le français que l’on parle dans la partie méridionale de la France n’a pas les mêmes couleurs, ni les mêmes sonorités, que le français que l’on parle dans la partie septentrionale du pays.

ParisVSMarseille-10
Source: Topito

À la veille de ces nouvelles grandes vacances, on s’est dit que le temps était venu de faire un petit inventaire des particularités linguistiques qui font le charme du français que l’on parle dans le Midi. Que ce billet puisse servir de guide aux francophones établis au nord de la Loire en mal de Méditerranée, de soleil et de pétanque!

On a besoin de vous!
Depuis 2015, les linguistes qui animent le blog français de nos régions ont mis au point des enquêtes visant à examiner la vitalité et l’aire d’extension de certaines particularités locales du français que l’on parle en Europe (Belgique 🇧🇪, France 🇫🇷 et Suisse 🇨🇭) ainsi qu’au Canada 🇨🇦. Vous pouvez contribuer à notre projet en participant à l’un de nos sondages: c’est marrant, gratuit, anonyme et on répond depuis un ordinateur 💻, un téléphone 📞 ou une tablette 📱. Prévoir dix minutes ⏰ environ pour compléter le sondage 🤓! Pour participer, suivez ce lien 👉ici👈!

On a regroupé les cartes en trois parties, selon qu’elles permettent de visualiser la vitalité et l’aire d’extension d’occitanismes lexicaux (c.-à-d. de mots d’origine occitane utilisés en français), de tournures grammaticales inconnues dans le français des grands médias parisiens (c’est quelle heure? ou il a eu fumé, mais il ne fume plus) ou de la prononciation de la voyelle ‘o’ dans des mots comme atome, chose, rose, etc.

Les occitanismes

L’occitan, ou langue d’oc, est un vaste conglomérat de parlers d’origine latine pratiqués autrefois dans la partie méridionale de la France, dans le Piedmont en Italie ainsi que dans le Val d’Aran en Espagne. Les différents représentants de l’occitan (qui sont le gascon, le limousin, l’auvergnat, le languedocien, le nissart, le provençal, etc.) font partie de la grande famille des parlers galloromans, et s’opposent d’une part aux parlers d’oïl (pratiqués dans la partie septentrionale de la France, qui incluent le picard, le wallon, le normand, le lorrain, le champenois, le poitevin-saintongeais, etc.), d’autre part aux dialectes francoprovençaux (parlés dans l’ex-région Rhône-Alpes, en Suisse romande et dans la Vallée d’Aoste en Italie), comme on peut le voir sur la Figure 1 ci-après:

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Figure 1. Les grandes aires dialectales du galloroman, sur la base du réseau de points de l’Atlas Linguistique de la France.

On estime que jusqu’au milieu du XIXe s. environ, le français était relativement inconnu dans les campagnes s’étendant de l’ouest à l’est du Midi de la France, et que le peuple s’y exprimait exclusivement dans l’idiome local (c.-à-d. dans une variété d’occitan). Des décennies de cohabitation entre le français et l’occitan ont  engendré, dans un système comme dans l’autre, la naissance de nombreux calques et d’emprunts, comme l’explique mieux que quiconque Auguste Brun dans un ouvrage qui fait depuis longtemps autorité chez les linguistes (Recherches historiques sur l’introduction du français dans les provinces du Midi, Paris, 1923). Aussi, bon nombre des mots régionaux qui caractérisent le français du sud de la France aujourd’hui trouvent un correspondant en occitan.

Les particularités linguistiques du français que l’on parle dans le Midi de la France ont fait l’objet de nombreux ouvrages. Les lecteurs non-spécialistes intéressés par ces questions peuvent consulter les références suivantes: Le français de Marseille. Etude de parler régional, A. Brun, Marseille, Institut historique de Provence, 1931 / Marseille, 1978; Le français parlé à Toulouse, J. Séguy, Toulouse, 1950; Le marseillais pour les nuls, M. Gasquet-Cyrus, 2016, Paris.

Dans nos enquêtes, nous avons testé toute une série de régionalismes occitans. Nous en présentons une demi-dizaine dans la première partie de ce billet.

péguer, s’empéguer

D’après le Dictionnaire des régionalismes de France, le verbe péguer est un emprunt à l’ancien occitan pegar (v. languedocien pegá), qui signifie “marquer avec de la poix” (de la pega, c’est de la “poix” dans la langue de Mistral). Il serait attesté en français depuis 1802, mais n’est entré dans le Larousse que dans l’édition 2006 (dans le Robert, c’est en 2007, informations glanées sur la page de notre collègue Camille Martinez), avec la définition suivante: “Dans le midi de la France, être poisseux, collant” (v. aussi le Wiktionnaire pour des exemples).

D’après les résultats de notre enquête, le verbe jouit actuellement d’une vitalité très importante dans toute la partie méridionale de la France, ainsi qu’en Corse, comme on peut le voir sur la Figure 2 ci-dessous:

péguer_raster_annotated.png

Figure 2. Vitalité et aire d’extension du verbe péguer (au sens de “coller légèrement, poisser”) d’après les enquêtes Français de nos régions [2015-2018]. Les traits épais délimitent les frontières de pays France/Belgique et France/Suisse.

Le liseré blanchâtre qui borde cette zone, de même que les taches plus claires dans la partie septentrionale de la France, laissent penser que le verbe est en train de se dérégionaliser. Il serait ainsi en train de se substituer au verbe poisser, qui n’a pas tout à fait la même syntagmatique (si on peut dire: la confiture poisse les mains, on ne peut pas dire que la confiture pègue les mains), et dont l’emploi semble plutôt rare.

empegue
Source: TV5 monde

Quant au verbe empéguer (ancien occitan empegar “poisser, coller” et provençal s’empega “s’enivrer”), entré plus tôt dans le Robert (2007) que dans le Larousse (2010), il recouvre plusieurs sens, notamment lorsqu’il est employé pronominalement (s’empéguer dans quelque chose, c’est se débattre dans des difficultés sans nombre; mais c’est aussi s’enivrer). Il est intéressant de souligner que son aire d’extension épouse, avec quelques différences pour la partie septentrionale de l’Hexagone et la Corse, les frontières de l’aire de péguer, comme on peut le voir sur la Figure 3 ci-dessous:

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Figure 3. Vitalité et aire d’extension du verbe s’empéguer (au sens de “s’empêtrer (dans un problème), s’enivrer”) d’après les enquêtes Français de nos régions [2015-2018]. Les traits épais délimitent les frontières de pays France/Belgique et France/Suisse.

À noter, dans la même famille, l’adjectif pégueux, pégueuse et sa variante non francisée pégous (= “collant, gluant comme de la poix”), le déverbal pègue (elle est pègue que j’en peux plus! que l’on peut traduire par: elle est tellement collante que j’en peux plus!), le susbtantif pégon (qui désigne un végétal en forme de boule qui s’accroche aux vêtements, et par extension, un enfant un peu trop collant).

escagasser

Ce verbe correspond, toutes choses étant égales par ailleurs, au verbe français “écraser”. Fortement polysémique, il s’emploie pour signaler un dommage physique (à quelqu’un: il s’est fait escagasser en sortant de l’école; ou à quelque chose: j’ai escagassé ma voiture en la garant sur ce parking) ou moral (il est alors synonyme de “casser les pieds”: arrête de faire du bruit en mangeant, tu m’escagasses!). C’est un emprunt à l’occitan escagassá, lui-même formé à partir du verbe occitan cagá, qui signifie “aller à la selle” (ou caguer, si on veut utiliser un régionalisme en circulation dans le sud). On peut voir sur la carte ci-dessous (Figure 4) que le verbe n’est guère connu en dehors de la région où l’on parle (ou parlait) occitan:

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Figure 4. Vitalité et aire d’extension du verbe escagasser (au sens de “écraser, énerver”) d’après les enquêtes Français de nos régions [2015-2018]. Les traits épais délimitent les frontières de pays France/Belgique et France/Suisse.

cacagne

Dans le même registre, on peut mentionner le mot cacagne (ou sa variante, cagagne), qui signifie “diarrhée” (v. l’occitan cagagno, de même sens). Le mot s’emploie également au figuré, pour exprimer une grande peur: il m’a foutu une de ces cacagnes revient à dire: il m’a foutu une de ces peurs (ou de ces trouilles, trouille ou drouille signifiant, dans certains dialectes de France, “diarrhée”).

NB: Les formes caquerelle, caguerelle, caquette et caguette étaient également proposées dans le questionnaire. En raison du faible nombre de réponses que ces formes ont reçues, il n’a pas été possible de représenter leur extension géographique sur une carte.

La carte ci-dessous (Figure 5) montre que le mot est davantage employé dans l’est que dans l’ouest du Midi de la France:

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Figure 5. Vitalité et aire d’extension du mot cacagne/cagagne (au sens de “diarrhée”) d’après les enquêtes Français de nos régions [2015-2018]. Les traits épais délimitent les frontières de pays France/Belgique et France/Suisse.

On peut voir sur la Figure 5, réalisée à partir des matériaux publiés dans l’Atlas Linguistique de la France au début du siècle dernier, que les correspondants de la forme cacagne dans les dialectes galloromans s’étendaient sur une aire assez similaire à celle que dessine notre carte pour le français régional du début du XXIe s.:

cacagne_ALF.png

Figure 6. Aire de cacagne/cagagne (“diarrhée”) dans les dialectes galloromans parlés au début du XXe s., d’après la carte 558 de l’ALF. Chaque point représente une localité enquêtée.

ensuquer

Dans les parlers d’oc, les correspondants du verbe ensucá signifient “assommer”. Être ensuqué, c’est avoir la tête dans les nuages, ou n’être pas tout à fait réveillé. Mieux qu’un long discours, ces quelques tweets nous permettront de comprendre dans quels contextes les francophones du Sud de la France utilisent le verbe ensuquer:

En français régional, le verbe jouit d’une vitalité assez élevée, qui dépasse assez largement, à l’est de l’Hexagone, les limites historiques de la région où l’on parlait naguère l’occitan avant le français (Figure 7):

ensuqué_raster_annotated.png

Figure 7. Vitalité et aire d’extension de être ensuqué (au sens de “être grandement fatigué, avoir la tête dans les nuages”) d’après les enquêtes Français de nos régions [2015-2018]. Les traits épais délimitent les frontières de pays France/Belgique et France/Suisse.

La carte montre en effet que être ensuqué est connu jusqu’en Bourgogne dans la moitié septentrionale de la France.

Les expressions

Le français du sud de la France, ce n’est pas seulement des mots, c’est aussi des expressions ou des tournures. Nous en avons sélectionné deux.

Le passé surcomposé

On vous en parlait dans l’un de nos tout premiers billets. Le passé que l’on qualifie de “surcomposé” permet d’exprimer, en français, une action révolue dans le passé. Il implique l’usage non pas d’un seul, mais de deux verbes auxiliaires. Les tours avec avoir + eu (il a eu fumé) sont les plus fréquents, ceux avec avoir + été (on a été soulagé une fois qu’il a été parti) et être + eu (on a été soulagé une fois qu’il est eu parti) étant plus rares.

Les grammairiens acceptent assez bien l’usage du passé surcomposé quand il est employé dans une construction subordonnée (quand il a eu fini, il est parti). Son usage dans une proposition principale ou indépendante (il a eu fumé, mais il ne fume plus) est en revanche plus stigmatisé.

Dans nos enquêtes, plusieurs questions impliquant le passé surcomposé ont été posées. La carte à gauche de la Figure 8 ci-dessous a été générée à partir des réponses à la question “Sur une échelle allant de 0 (= jamais) à 10 (= tous les jours), à quelle fréquence employez-vous la phrase ‘j’ai eu fumé, mais je ne fume plus’?” – celle de droite a été réalisée à partir des réponses à la question “Si vous voulez parler de quelqu’un qui fumait, mais qui ne fume plus, diriez-vous, oui ou non, ‘il a eu fumé!’?”:

Figure 8. Vitalité et aire d’extension de l’usage du passé surcomposé (avoir eu fumé) d’après les enquêtes Français de nos régions [2015-2018]. À gauche, vitalité estimée en termes de fréquence, à droite, en termes de pourcentage. Les traits épais délimitent les frontières de pays France/Belgique et France/Suisse.

Dans l’un comme dans l’autre cas, l’usage du passé surcomposé dans une phrase principale (non-subordonnée) n’est connu que par les locuteurs du grand sud de la France (auquel s’ajoute la Suisse). Dans la partie septentrionale de la France, il est intéressant de remarquer que les Bretons font exception: la tache significativement plus claire sur le Finistère indique que le temps surcomposé est également employé dans cette région (sans doute car il est également connu en breton, comme l’indiquent nos lecteurs dans les commentaires à la suite de la publication de notre précédent billet).

C’est quelle heure?

La tournure « c’est quelle heure? » fait l’objet d’une certaine stigmatisation par les locuteurs du français qui ne disposent pas de ce tour dans leur usage (si vous ne nous croyez pas, lisez voir les commentaires sous ce post Facebook). D’aucuns diront qu’il est plus correct de dire: “quelle heure est-il?”, ou simplement “il est quelle heure?”. Peu de gens savent que cette tournure est régionale, et on ne la trouve d’ailleurs dans aucun dictionnaire spécialisé. Sur Internet, seule la page Wikipédia consacrée aux régionalismes du parler lyonnais en fait état. Notre Figure 9 montre qu’il s’agit pourtant d’un régionalisme d’assez grande extension:

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Figure 9. Vitalité et aire d’extension de l’usage du tour c’est quelle heure? (“quelle heure est-il?, il est quelle heure?”) d’après les enquêtes Français de nos régions [2015-2018]. Les traits épais délimitent les frontières de pays France/Belgique et France/Suisse.

Le remplacement du pronom impersonnel il par un pronom démonstratif (ce + est > c’est) n’a rien de bizarre. Le pronom il alterne en effet assez librement en français familier avec un autre pronom démonstratif, ça (“il pleut / ça pleut”; “il neige / ça neige”, “il fait soleil / ça fait soleil”, etc.). Reste à savoir si dans ces contextes, l’usage de ça à la place de il constitue également un régionalisme: on le testera dans une prochaine enquête.

La prononciation du son ‘o’

On le sait, on l’a déjà dit plusieurs fois (dans ce billet, ou dans celui-ci). Une des grandes différences entre la partie septentrionale et la partie méridionale de la France repose sur la façon dont certains mots contenant la voyelle ‘o’ en syllabe fermée (c’est-à-dire dans une syllabe où la voyelle est suivie d’une consonne) sont prononcés.

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Source: y’a pas le feu au lac

Dans le Sud de la France (mais c’est aussi – dans une moindre mesure tout du moins – le cas dans le Nord-Pas-de-Calais et dans le Finistère), paume rime avec pomme, hôte avec hotte, saute avec sotte, etc., comme le montre la carte ci-dessous (Figure 10):

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Figure 10. Vitalité et aire d’extension de la prononciation ouverte de la voyelle ‘o’ dans le mot saute, d’après les enquêtes Français de nos régions [2015-2018]. Les traits épais délimitent les frontières de pays France/Belgique et France/Suisse.

Dans les zones de couleur marron-orangé, le mot saute se prononce de la même façon que le mot sotte, c’est-à-dire avec une voyelle ouverte, que représente le symbole [ɔ] dans l’alphabet phonétique international. Dans les zones violettes, si des mots comme pomme, hotte et et sotte se prononcent bien avec un o ouvert [ɔ], paume, saute et hôte se prononcent en revanche avec un o fermé, que l’on transcrit [o] dans l’alphabet phonétique international, et que l’on entend dans des mots comme dos ou beau.

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Figure 11. Vitalité et aire d’extension de la prononciation ouverte de la voyelle ‘o’ dans les mots atome, chose, jaune, rauque, rose, et saute, d’après les enquêtes Français de nos régions [2015-2018]. Les traits épais délimitent les frontières de pays France/Belgique et France/Suisse.

La carte animée ci-dessus (Figure 11), générée à partir des questions proposées dans diverses enquêtes, permet de rendre compte de la surprenante stabilité aréologique de la prononciation ouverte de la voyelle ‘o’ quand celle-ci se trouve en syllabe fermée. On peut voir que si les aires de la prononciation de ‘o’ ouvert en syllabe fermée ne sont pas tout à fait les mêmes d’une carte à l’autre, la variation reste assez minoritaire.

Ce billet vous a plu?

Alors n’hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux (profitez-en aussi pour vous abonner à notre page Facebook si vous ne voulez manquer aucune info en rapport avec le projet; on est aussi sur Instagram et Twitter). N’hésitez pas non plus à participer à l’une de nos enquêtes sur le français régional. Ça ne prend que dix minutes à tout casser, ça se fait depuis chez soi sur son ordinateur, son téléphone ou sa tablette, anonymement, et ça nous aide beaucoup! Les cartes que nous présentons ne peuvent être fiables que si elles se basent sur les réponses de milliers de participants. Si vous avez grandi en Europe, cliquez ici; si vous avez grandi en Amérique du Nord (Canada, Nouvelle-Angleterre, Louisiane), cliquez .

L’atlas du français de nos régions

Retrouvez certaines des cartes publiées sur ce blog dans l’Atlas du français de nos régions, disponible dans toutes les bonnes librairies (mais aussi sur Amazon ou à la Fnac).

couverture

Ces prononciations qui divisent la France

Dans plusieurs de nos précédents billets, on vous parlait de ces mots qui ne se prononcent pas de la même façon selon la région d’où l’on provient. On vous disait qu’en France, tout le monde ne distinguait pas, à l’oral, le mot piquait du mot piqué, le mot saute du mot sotte, le mot brin du mot brun ou encore le mot pâte du mot patte; on vous disait également que certains francophones étaient plus ou moins parcimonieux lorsqu’il s’agissait de faire sonner les consonnes finales des mots vingt, moins, persil, sourcil, anis voire du mot ananas.

Mosaïque 1. Pourcentage d’usage déclaré de participants ayant déclaré prononcer, de haut en bas et de la gauche vers la droite, le mot ananas [anana], le mot anis [ani], le mot saute [sot], le mot piquet [pikɛ], le mot brun [brœ̃] et le mot pâte [pɑt] en français d’Europe d’après les enquêtes Français de nos régions. Les traits fins délimitent les frontières de départements en France, de provinces en Belgique et de cantons en Suisse romande.

Grâce aux milliers d’internautes qui ont pris part à nos dernières enquêtes, l’on est aujourd’hui en mesure de vous proposer une nouvelle sélection de cartes donnant à voir des divisions à l’intérieur de la francophonie d’Europe. Bonne découverte!

Nous avons besoin de vous!
Depuis 2015, les linguistes du site «Français de nos régions» ont mis en place des sondages sur Internet en vue d’évaluer la distribution dans l’espace des spécificités locales du français que l’on parle en Europe et au Canada. Aidez-nous en répondant à notre nouvelle enquête sur les régionalismes du français de France 🇫🇷, de Belgique 🇧🇪 et de Suisse 🇨🇭 en répondant à quelques questions – cliquez 👉 ici 👈 pour accéder au sondage. Si vous êtes originaires du Québec 🍁 ou des autres provinces francophones du Canada 🇨🇦, c’est par 👉 👈). Votre participation est gratuite et anonyme. Il vous suffit de disposer d’une connexion internet 💻📱 et d’une dizaine de minutes ⏰ tout au plus. Les cartes 🗺️ présentées dans ce billet ont été générées à la suite des réponses de plusieurs milliers d’internautes 👨💻 👩💻 (entre 8.000 et 10.000 personnes par enquête). Nous avons besoin d’un maximum de répondants pour assurer la représentativité des faits que nous examinons, n’hésitez donc pas nous dire quel français régional vous parlez!

La prononciation des mots en -oelle et en -oêle

Les mots qui contiennent la graphie –oêle ou –oelle, comme poêle 🍳 et moelle 🍖, se prononcent, d’après les dictionnaires de grande consultation, avec le son [wa]. Si vous vous rendez sur le site du Larousse et que vous cliquez sur le petit haut-parleur 🔊 en haut à droite de la définition, vous pourrez entendre la petite voix articuler [pwal] à l’entrée poêle et [mwal] à l’entrée moelle.

Bizarrerie
En ce qui concerne le mot poêle, le TLFi ne signale que la prononciation [pwal], la page du Wiktionnaire (consultée le 25.02.2018) indique que les deux – [pwal] et [pwèl] – sont possibles. Pour le mot moelle, c’est l’inverse: le TFLi signale que les prononciations [mwèl] et [mwal] sont toutes deux attestées, le Wiktionnaire (consulté le 25.02.2018) ne mentionne que la prononciation [mwal] 😒

Les résultats de nos enquêtes nous avaient déjà permis de proposer une carte pour la prononciation du mot poêle (si vous ne vous en souvenez plus, cliquez ici). Grâce aux données de notre avant-dernière enquête, on a pu réaliser la carte des régions où le mot moelle se prononce [mwal], et celles où le mot se prononce [mwèl] –  pour visualiser la juxtaposition des cartes en plein écran, cliquez sur ce lien:

Figure 1. Pourcentage d’usage déclaré pour la prononciation [pwèl] du mot poêle d’après les réponses des participants âgés respectivement de moins de 25 ans et de plus de 50 ans en français d’Europe d’après les enquêtes Français de nos régions. Les traits fins délimitent les frontières de départements en France, de provinces en Belgique et de cantons en Suisse romande.

Malgré quelques petites différences que l’on peut observer à l’intérieur de la France métropolitaine (différences qui s’expliquent par le fait que le nombre de participants pour chaque localité n’était pas exactement le même d’une enquête à l’autre, même si le nombre total de participants – toute localités confondues – était, lui, similaire: 7.100 pour le mot poêle; 7.800 pour le mot moelle), la superposition des deux cartes (faire glisser la barre verticale de gauche à droite pour comparer) permet d’affirmer que c’est surtout en Bretagne, dans l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais et dans certains cantons de Suisse romande que la prononciation [wè] est la plus répandue. Ailleurs, cette prononciation peut être entendue, mais elle est clairement minoritaire par rapport à la prononciation [wa]. Dans notre dernière enquête, nous testons la prononciation d’autres mots pouvant faire l’objet de la même variation (moelleux au chocolat, couenne du jambon, etc.). N’hésitez pas à nous faire part de votre usage en répondant à nos nouvelles questions!

Les consonnes finales

On sait que la prononciation des consonnes finales varie à travers les époques comme à travers les régions. On sait également que les directions de la variation ne sont pas cohérentes, ni régulières. Pourquoi, en Belgique, ne prononce-t-on pas le -l final du mot sourcil alors qu’on prononce celui de nombril ou celui de baril? Pourquoi dans la partie septentrionale de France, on ne prononce pas le -l final du mot persil alors qu’on prononce celui des mots nombril, baril et sourcil? Dans la même veine, pourquoi les Gascons prononcent-ils l’-s final du mot moins et du mot encens et pas le -t final du mot vingt, à la manière des Alsaciens, des Lorrains, des Belges et des Suisses?

Le saviez-vous?
Au Québec comme dans les autres des provinces du Canada 🇨🇦 où l’on parle français, la non-prononciation du -l final dans les mots sourcil, barilpersil et nombril est normale. En français canadien, on prononce nombri, bari, persi, sourci – personne ne dit sourciL, bariL, persiL ou nombriL, à part peut-être les Européens qui se sont exilés et qui ne se sont pas encore intégrés! Les Canadiens ne prononcent pas non plus les consonnes finales des mots moins et vingt. Toutefois, certaines personnes (souvent, il s’agit de personnes âgées) de cette région de la francophonie prononcent un -s final à la fin des pronoms eux (prononcé eusse), ceux (prononcé ceusse) ou gens (prononcé gensse)! On vous l’a dit: il n’y a pas de logique! 😃

Qu’en est-il des mots cassis, almanach ou détritus? Le Larousse signale que ces trois mots se prononcent sans consonnes finales: à l’article en ligne consacré à mot cassis, on peut entendre que la voix prononce [kassi], à l’article almanach la prononciation est [almana] et à l’article détritus c’est [détritu] que vous entendrez. Les données de nos diverses enquêtes indiquent, comme on aurait pu s’y attendre, que la prononciation des consonnes finales varie selon les mots, mais aussi en fonction des régions. Globalement, il ressort que, partout dans la francophonie d’Europe, les prononciations [kassisse] et [almanak] sont clairement majoritaires, alors que pour le mot détritus, c’est la prononciation sans consonne finale – [détritu] – qui prédomine, comme on peut le voir sur les cartes ci-dessous:

Mosaïque 2. Pourcentage d’usage déclaré pour les prononciations [kassi] du mot cassis, [détritusse] du mot détritus et [almana] du mot almanach en français d’Europe d’après les enquêtes Français de nos régions. Les traits fins délimitent les frontières de départements en France, de provinces en Belgique et de cantons en Suisse romande.

De façon plus intéressante, nos enquêtes permettent de montrer qu’en France, les prononciations minoritaires sont archaïsantes, c’est-à-dire que ce sont plutôt les participants âgés qui en sont les représentants. Comparer, pour le mot cassis, la carte produite avec les participants de moins de 25 ans à la carte produite en ne retenant que les données des participants de 50 ans et plus – faire glisser pour comparer les deux cartes, et pour voir la juxtaposition en plein écran, cliquez sur ce lien:

Figure 3. Pourcentage d’usage déclaré pour la prononciation [kassi] du mot cassis d’après les réponses des participants âgés de moins de 25 ans et des participants âgés de plus de 50 ans en français d’Europe d’après les enquêtes Français de nos régions. Les traits fins délimitent les frontières de départements en France, de provinces en Belgique et de cantons en Suisse romande.

La juxtaposition des deux graphiques permet de conclure qu’en Bretagne et dans les cantons de l’arc jurassien de Suisse romande, la prononciation [kassi] est plus répandue chez les plus de 50 ans que chez les moins de 25 ans, c.-à-d. qu’elle est en train de se perdre au profit de l’usage dominant. Remarquons qu’ailleurs sur le territoire, elle est quasi-inexistante, et ce peu importe l’âge des participants.

Pendant ce temps-là, dans le TLFi…
L’article du TFLi consacré au mot cassis rapporte que la plupart des dictionnaires de prononciation signalent que l’-s final se prononce; certains estiment même que la forme [kassi] est “vieillie”, v. notamment Martinon [1913, p. 302]: “la prononciation de ces mots [métis, cassis, vis et tournevis] sans s est tout à fait surannée; on ne peut plus la conserver que pour les nécessités de la rime et encore”

Si l’on compare à présent la distribution des deux prononciations (avec et sans consonnes finales en isolant les participants de moins de 25 ans et ceux de plus de 50 ans) pour le mot almanach, on peut voir que la prononciation sans consonne finale est assez répandue chez les seniors (en tout cas dans les régions de la France septentrionale), alors qu’elle a quasiment disparu dans la bouche des participants de moins de 25 ans – faire glisser pour comparer les deux cartes, et pour voir la juxtaposition en plein écran, cliquez sur ce lien:

Figure 4. Pourcentage d’usage déclaré pour la prononciation [almana] du mot almanach d’après les réponses des participants âgés de moins de 25 ans et des participants âgés de plus de 50 ans en français d’Europe d’après les enquêtes Français de nos régions. Les traits fins délimitent les frontières de départements en France, de provinces en Belgique et de cantons en Suisse romande.

Qu’en disent les traités de prononciation?
D’après les traités de prononciation du français (v. TLFi pour une revue), le -ch final ne se prononce [k] que devant voyelle: l’almanach [k] impérial, l’almanach [k] alsacien. Notre questionnaire ne permettait pas de tester l’importance du contexte de droite (est-ce que le mot se trouve devant voyelle ou devant consonne), mais on peut faire l’hypothèse que la prononciation du [k] final se maintient également devant consonne (l’almanach [k] savoyard, l’almanach [k] 2018, etc.).

Examinons à présent le cas de la prononciation du mot détritus. La comparaison des deux cartes permet de rendre compte d’un changement encore plus radical que ce que l’on a pu observer pour les mots cassis et almanach ci-dessus. La juxtaposition des deux cartes révèle en effet que la prononciation [détritusse] est clairement plus répandue dans les anciennes générations que dans les jeunes générations, où c’est la prononciation sans consonne finale [détritu], qui prédomine – faire glisser pour comparer les deux cartes, et pour voir la juxtaposition en plein écran, cliquez sur ce lien:

Figure 5. Pourcentage d’usage déclaré pour la prononciation [détritusse] du mot détritus d’après les réponses des participants âgés de moins de 25 ans et des participants âgés de plus de 50 ans en français d’Europe d’après les enquêtes Français de nos régions. Les traits fins délimitent les frontières de départements en France, de provinces en Belgique et de cantons en Suisse romande.

Une prononciation qui fait débat
Les traités de prononciation de français ne s’accordent pas sur la prononciation du mot détritus (voir TLFi pour une revue). Pour les uns [Martinon 1913; Barbeau & Rodhe 1930], l’-s final ne doit pas être prononcé. Pour d’autres [Dupré 1972], “l’usage aurait consacré [la non-prononciation du -s final] par analogie des pluriels de participes passés [inclus, retenus, obtenus]”. L’-s étant interprété comme une marque de pluriel (il est rare d’employer le mot détritus au singulier), il tend à ne pas être prononcé (contrairement aux mots empruntés au latin à une date plus récente: humérus, Uranus, utérus, cubitus, etc.)

Il existe encore de nombreux mots dont la prononciation de la consonne finale semble dépendre de l’origine et de l’âge des participants. Notre dernier questionnaire en contient une série (alphabeTchaoS, thermoS, etc.). Aidez-nous à compléter notre collection en cliquant sur ce lien!

Le e dit muet

Notre troisième série de cartes concerne la prononciation du e que les linguistes qualifient de “caduc” ou de “muet” et que l’on appelle techniquement le schwa. Le comportement de cette voyelle est problématique, surtout quand il intervient au début d’un mot. Dites-vous plutôt “dév’lopp’ment” ou “développement“? Y voyez-vous “clair’ment ou “clairement“? “à d’main” ou “à demain“? On sait ainsi que les locuteurs de la partie septentrionale de la France sont de plus gros avaleurs de e muets que ceux du sud, comme le confirme cette première carte:  2-chfeu_all

Figure 6. Pourcentage d’usage déclaré pour la prononciation du mot cheveux sans e muet [ch’veu] en français d’Europe d’après les enquêtes Français de nos régions. Les traits fins délimitent les frontières de départements en France, de provinces en Belgique et de cantons en Suisse romande.

Souvent, le e caduc est prononcé pour éviter la production de syllabes commençant par deux consonnes qui s’enchaînent mal (essayez de prononcer les jours de la semaine mercredi ou vendredi sans e muet; même remarque avec les mots qui se terminent par -elier: bachelier, hôtelier ou chancelier).

La loi dite “des trois consonnes”
En 1901, Maurice Grammont, publie une étude sur le patois de son village natal, Damprichard (25), et jette les bases d’une règle qu’il raffinera par la suite, et que l’on connait aujourd’hui sous le nom de “loi [ou règle] des trois consonnes”. Brièvement résumée, cette loi stipule que le e muet est obligatoirement prononcé s’il est précédé de deux consonne et suivi d’une autre consonne (trois consonnes au total, donc), car il sert d’appui: porte-feuille, notre père, une énorme pression, etc. Il est facultatif autrement. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’ouvrage de Grammont ou cet article des linguistes Jacques Durand et Bernard Laks.

Or, tous les francophones d’Europe ne sont pas égaux devant la chute du e muet. Pour certains locuteurs de Suisse romande et de la région Bourgogne-Franche-Comté, faire chuter le e muet dans le mot renard ne pose aucun problème, comme on peut le voir sur la Figure 7:

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Figure 7. Pourcentage d’usage déclaré pour la prononciation du mot renard sans e muet [r’nar] en français d’Europe d’après les enquêtes Français de nos régions. Les traits fins délimitent les frontières de départements en France, de provinces en Belgique et de cantons en Suisse romande.

Pour les Méridionaux, l’absence de e muet entre deux consonnes comme “p” et “n”, comme dans les mots pneu ou pneumonie, peut même entraîner la production d’un e qui ne fait pas partie de la graphie du mot, comme on peut le voir sur la Figure 8:

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Figure 8. Pourcentage d’usage déclaré pour la prononciation du mot pneu avec e muet [peuneu] en français d’Europe d’après les enquêtes Français de nos régions. Les traits fins délimitent les frontières de départements en France, de provinces en Belgique et de cantons en Suisse romande.

Mémo
En linguistique, on appelle épenthèse le fait de produire un son qui ne figure pas dans la graphie d’un mot pour en faciliter la prononciation. Inversement, la suppression d’un phonème lors de la prononciation d’un mot est un processus que l’on appelle syncope.

Bonus: je mangerai vs je mangerais

On voulait terminer ce billet en présentant une carte qu’on nous a beaucoup demandée, et qui permet de rendre compte de l’état de l’opposition phonique entre la terminaison des formes conjuguées je mangerai et je mangerais, qui expriment respectivement le futur et le conditionnel à la première personne du singulier.

Le saviez-vous?
Selon l’usage normatif, la terminaison -ai des verbes au passé simple (je mangeai) et au futur simple (je mangerai) se prononce avec une voyelle fermée [e], ce qui permet d’éviter la confusion avec l’indicatif imparfait (je mangeais) et avec le conditionnel présent (je mangerais), qui se prononcent avec la voyelle ouverte [ɛ]. Sur ce point, v. notamment Le Bon Usage, de Grévisse & Goosse [2016, §794].

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Figure 9. Pourcentage de participants ayant indiqué prononcer de façon différente le verbe je mangerai (futur simple) du verbe je mangerais (conditionnel) en français d’Europe d’après les enquêtes Français de nos régions. Les traits fins délimitent les frontières de départements en France, de provinces en Belgique et de cantons en Suisse romande.

Sans surprise, l’opposition n’est pas connue dans le sud de la France (où l’on ne connait pas le phonème /ɛ/, des mots comme piquet ou piquait ne se distinguant pas, à l’oral, du mot piqué (v. mosaïque 1 en haut de cette page). Dans le reste de la francophonie d’Europe, on peut voir que c’est surtout en Belgique, dans les départements de l’arc jurassien de la Suisse romande ainsi qu’en Franche-Comté que survit l’opposition. Ailleurs, elle n’existe plus (et cela peu importe l’âge des participants, différentes méthodes statistiques n’ayant pas permis de faire ressortir un effet significatif de l’âge sur la distribution de cette variable).

Le saviez-vous?
Au Canada 🇨🇦, autre région de la francophonie avec la Suisse 🇨🇭 et la Belgique 🇧🇪 où le français a pu se développer en partie à l’abri des influences du français de Paris 🗼, il est d’usage d’opposer je mangerai à je mangerais quand on s’exprime à l’oral.

Conclusion

Les enquêtes «Français de nos régions» nous ont encore une fois permis de porter un regard nouveau sur la vitalité et l’aire d’extension de certaines prononciations du français. La question du e muet est souvent invoquée comme un marqueur de l’identité régionale d’un francophone. Pour la première fois, des cartes indiquant les aires où cette voyelle se prononce et où elle peut ne pas se prononcer ont été réalisées.

Quel français régional parlez-vous?
Il nous reste encore pas mal de travail à réaliser en vue d’aboutir à une meilleure connaissance de la géographie des prononciations du français de nos régions. N’hésitez donc pas à participer à l’un de nos derniers sondages sur les régionalismes du français de France 🇫🇷, de Belgique 🇧🇪 et de Suisse 🇨🇭 en répondant à quelques questions – cliquez 👉 ici 👈 pour accéder aux questions. Si vous êtes originaires du Québec 🍁 ou des provinces de l’est du Canada 🇨🇦, c’est par 👉 👈). Votre participation est gratuite et anonyme. Il vous suffit de disposer d’une connexion internet 💻📱 et d’une dizaine de minutes ⏰ tout au plus.

Grâce aux données récoltées, on est désormais en mesure de faire des hypothèses plus solides quant à la géographie de certains faits (l’aire de la prononciation [pwèl] recoupe celle de [mwèl]; c’est dans les régions les plus conservatrices de la francophonie d’Europe que l’on maintient l’opposition, à l’oral, entre les éléments de la paire je mangerai et je mangerais), ainsi que de leur avenir.

Suivez-nous sur les réseaux sociaux!
Dans un prochain billet, on traitera de la façon dont certaines prononciations ont évolué au cours du siècle dernier, en comparant nos cartes avec celles de l’Atlas Linguistique de la France. Sinon, pour être tenu.e.s au courant de nos publications et de nos actualités, abonnez-vous à notre page Facebook! Vous pouvez aussi nous suivre sur Twitter ou sur Instagram!

On a notamment pu voir que les prononciations minoritaires des mots cassis, détritus ou almanach sont régionales mais aussi vieillissantes, et qu’elles tendent à disparaître au profit de l’usage dominant.

Le français de nos régions vous intéresse?

Retrouvez dans toutes les bonnes librairies (sinon il est aussi à la Fnac ou sur Amazon) l’Atlas du Français de nos Régions aux éditions Armand Colin! Plus de 120 cartes illustrées et en couleur pour voyager à travers les régionalismes du français!

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Crédits

Les cartes ont été réalisées à partir de diverses enquêtes conduites depuis 2015 et dirigées par Mathieu Avanzi (centre de recherche VALIBEL, université catholique de Louvain) pour l’Europe, André Thibault (université Paris-Sorbonne et membre du projet Le français à la mesure d’un continent) pour le Canada. Les cartes ont toutes été réalisées dans le logiciel R (à l’aide des bibliothèques ggplot2, raster, Cairo, plyr et dplyr, entre autres). Le fond de carte a été généré à partir des données fournies sur le site GADM. Les juxtapositions de cartes ont été réalisées sur la plateforme JuxtaposeJS. Si vous avez des questions concernant les cartes, que vous souhaitez les utiliser ou les reproduire, n’hésitez pas à nous contacter!

Cartographier la rivalité linguistique entre Québec et Montréal

Dans un précédent billet, on vous parlait de ces mots qui ne se prononcent pas de la même façon d’un bout à l’autre de la France. Dans ce nouveau billet, nous nous rendons outre-Atlantique, dans la province de Québec, au Canada.

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Les villes de Montréal et de Québec se situent sur les bords du fleuve Saint-Laurent, dans la province de Québec (l’une des dix provinces que comprend le Canada). Seulement 250 km séparent ces deux pôles urbains !

Plus particulièrement, nous nous intéresserons aux différences qui caractérisent deux grandes aires à l’intérieur de la francophonie canadienne : l’une centrée sur la ville de Québec (la capitale provinciale), l’autre sur la ville de Montréal (la plus grande agglomération francophone au pays).

Le saviez-vous ?
La rivalité entre les villes de Montréal et de Québec est ancienne, et ne concerne pas uniquement le hockey… Pour en savoir plus sur l’histoire du phénomène, vous pouvez lire cet article ou encore celui-ci.

Une histoire de voyelles…

Si le français pratiqué au Canada n’a pas les mêmes sonorités que le français que l’on parle à Paris, c’est notamment parce que les locuteurs établis dans ce pays ont conservé certaines prononciations qui sont tombées en désuétude en Europe.

Ou plutôt devrait-on dire dans la plupart des régions d’Europe – puisque  la Suisse, la Belgique et certains département périphériques de l’Hexagone font exception…

Par exemple, en français canadien, il est tout à fait normal d’opposer à l’oral mettre à maître, le premier mot étant prononcé avec une voyelle brève, le second avec une voyelle longue :

De même, dans cette partie de la francophonie, beauté (avec une voyelle longue et fermée) s’oppose clairement dans la prononciation à botté (avec une voyelle brève et ouverte).

Toutefois, bien que l’immense majorité des mots comportant des voyelles potentiellement longues soient prononcés de la même façon chez tous les Canadiens francophones, il en existe quelques-uns qui ne font pas l’unanimité d’une région à l’autre…

Les cartes de ce billet ont été réalisées avec le logiciel R, à partir des résultats d’enquêtes conduites sur le web, auxquelles plus de 4000 francophones Nord-Américains ont pris part. Vous pouvez vous aussi contribuer aux enquêtes (c’est anonyme, gratuit et ça prend moins de 15 minutes – faites entendre votre voix, car plus les participants sont nombreux et dispersés sur le territoire, plus nos cartes seront fiables) en répondant à quelques questions. Pour cela, cliquez 👉 ici .

Arrête !

L’exemple le plus connu est celui du verbe arrête (à l’indicatif ou à l’impératif).

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La plupart des Québécois savent que les habitants de la ville de Québec prononcent ce mot avec une voyelle brève (celle, par exemple, du mot dette) alors que les Montréalais réalisent dans ce mot une voyelle longue (celle que les Canadiens francophones articulent dans le mot fête).

Il s’agit là de ce que les linguistes appellent un « shibboleth », c’est-à-dire un indice phonétique qui permet d’identifier l’origine d’un locuteur à partir d’une particularité de son accent. Le mot shibboleth  est un « [emprunt] à l’hébr. biblique shibbōlet ‘épi’, mot utilisé par les gens de Galaad pour reconnaître ceux d’Ephraïm, qui prononçaient sibbōlet, et qu’ils égorgeaient aussitôt (Juges 12, 6) » (TLFi). Espérons que les habitants de Montréal et de Québec n’en arriveront pas à de pareilles extrémités !

Or, si le comportement des locuteurs de Montréal et de Québec par rapport à cette variable est bien connu, qu’en est-il de la prononciation dans le reste du pays ? C’est ce que nous révèle cette première carte :

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Figure 1. Pourcentage de répondants à l’enquête ayant indiqué prononcer le mot “arrête” avec un “è” long. Les frontières en grisé signalent des limites de MRC (Québec), de comtés (autres provinces du Canada) et d’états (États-Unis).

On peut voir la domination claire et nette de la prononciation avec voyelle brève dans tout l’est du domaine (en vert), à partir d’une ligne qui traverse le fleuve Saint-Laurent à quelques dizaines de km à l’ouest de Québec. Cette aire se prolonge dans Charlevoix, au Saguenay–Lac-Saint-Jean et sur la Côte-Nord d’une part, ainsi que dans le Bas-du-Fleuve, en Gaspésie et dans toute l’Acadie d’autre part. L’aire de la voyelle longue (celle de fête) se répand dans tout l’ouest du domaine (en mauve). Les villes de Trois-Rivières, Drummondville, Sherbrooke, Montréal et Gatineau en font toutes partie, ainsi que la totalité des zones francophones de l’Ontario, à l’ouest du Québec.

À l’échelle du Québec, Montréal est de loin le pôle démographique le plus important, avec une agglomération urbaine de près de 4 millions d’habitants (dont environ les deux tiers sont de langue maternelle française). On s’attendrait donc à ce que cet énorme pôle diffuse sa norme. Il semble toutefois que la ville de Québec, seconde agglomération urbaine de la province avec env. 750 000 habitants, agisse comme un « verrou » qui freine l’expansion des variantes montréalaises vers l’est.

Baleine 🐋 

Un autre mot nous fournit une situation très similaire : il s’agit de baleine, prononcé lui aussi avec une voyelle longue dans l’ouest (celle que les Québécois articulent tous dans le mot reine) et une voyelle brève dans l’est (celle qui, pour eux, rime avec la voyelle de zen).

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La carte ci-dessous nous présente une répartition aréologique très semblable à celle du mot précédent :

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Figure 2. Pourcentage de répondants à l’enquête ayant indiqué prononcer le mot “baleine” avec un “è” long. Les frontières en grisé signalent des limites de MRC (Québec), de comtés (autres provinces du Canada) et d’états (États-Unis).

La ligne de démarcation entre les deux aires, perpendiculaire au fleuve Saint-Laurent, passe sensiblement au même endroit que sur la carte précédente. Dans les deux cas, on remarquera que cette frontière va en s’élargissant vers le sud, formant une sorte de triangle de couleur blanchâtre qui représente une transition graduelle entre la Beauce et l’Estrie, jusqu’à la frontière avec les États-Unis. Il est normal, en effet, que les frontières linguistiques dans des zones d’habitation densément peuplées et dépourvues d’obstacles géographiques majeurs soient graduelles et non pas tranchées.

La question de savoir laquelle des deux variantes (balei:ne ou baleine) est correcte est un faux-problème, comme l’explique ici notre collègue Marie-Hélène Côté, linguiste et spécialiste de la prononciation du français parlé au Canada. C’est l’usage des locuteurs qui fait la norme, et non l’inverse (nonobstant ce qu’en pense l’Office québécois de la langue française) !

Un cas inverse : connaisse

Cela veut-il dire qu’il existerait une tendance générale des habitants de l’est à privilégier les voyelles brèves, contrairement à l’ouest qui opterait pour les longues ? Cela est doublement faux. D’abord, comme nous l’avons précisé au début de ce billet, l’immense majorité des mots comportant des voyelles toniques susceptibles d’être brèves ou longues se prononcent de la même manière dans tout le pays. Ensuite, on trouve également des contre-exemples qui s’opposent à arrête et baleine. En effet, la forme verbale connaisse (forme conjuguée du verbe connaître) constitue un autre shibboleth entre Québec et Montréal, mais fonctionne de façon inverse : c’est l’est qui prononce une voyelle longue, et l’ouest qui opte pour une brève !

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La carte ci-dessous donne le détail de cette situation :

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Figure 3. Pourcentage de répondants à l’enquête ayant indiqué prononcer le mot “connaisse” avec un “è” long. Les frontières en grisé signalent des limites de MRC (Québec), de comtés (autres provinces du Canada) et d’états (États-Unis).

Encore une fois, on voit que les provinces maritimes affichent le même comportement que l’est de la province de Québec, alors que la prononciation de la plus grande partie de l’Ontario se situe dans le prolongement de l’ouest québécois. On fera toutefois deux remarques supplémentaires :

  • La démarcation entre les deux zones se situe à l’ouest du lac Saint-Pierre, c’est-à-dire sensiblement plus à l’ouest que dans les deux cartes précédentes ; la ville de Trois-Rivières, cette fois-ci, regarde plutôt vers Québec que vers Montréal.
  • L’Abitibi, autant du côté québécois que du côté ontarien, s’aligne sur l’est plutôt que sur l’ouest. Il faut savoir que cette région a été colonisée à une époque relativement récente (20e siècle) par des locuteurs originaires de toutes les parties de la province. Les variantes s’y sont donc redistribuées de façon imprévisible.

Prononce-moi poteau, je te dirai d’où tu es…

Il n’y a pas que la voyelle « è » qui affiche un comportement régionalement différencié pour certains mots : c’est aussi le cas de « o ». Les locuteurs de Québec et de Montréal se taquinent régulièrement sur la prononciation du mot poteau, articulé avec la voyelle de botté à Québec, mais avec celle de beauté à Montréal. En d’autres mots, à Québec on prononce “potteau” et à Montréal, “pôteau”.

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Or, que disent les locuteurs francophones dans le reste du pays ? La carte ci-dessous répond à cette question :

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Figure 4. Pourcentage de répondants à l’enquête ayant indiqué prononcer le mot “poteau” avec un “o” long et fermé. Les frontières en grisé signalent des limites de MRC (Québec), de comtés (autres provinces du Canada) et d’états (États-Unis).

On peut observer que la démarcation est-ouest épouse les contours de la frontière déjà esquissée pour arrête (figure 1) et baleine (figure 2), avec encore une fois la voyelle longue qui domine dans l’ouest et la voyelle brève qui s’étend jusqu’à l’Atlantique. Toutefois, il y a une différence de taille : entre la grande région soumise à l’influence de la ville de Québec d’une part et le domaine acadien d’autre part, tout Charlevoix, le Saguenay–Lac-Saint-Jean, la Côte-Nord, le Bas-du-Fleuve et le Madawaska (nord-ouest du Nouveau-Brunswick) vont de pair avec l’ouest et privilégient eux aussi la voyelle longue. Il faut donc admettre que la voyelle « o », dans les mots où l’on observe une différenciation régionale, ne se comporte pas partout de la même façon que la voyelle « è ».

Voyelles longues et « diphtongues »

Nous avons parlé jusqu’à maintenant de voyelles « brèves » et de voyelles « longues ». Il faut toutefois rappeler que les voyelles longues en français laurentien (c’est ainsi que les linguistes appellent, techniquement, le français né dans la vallée du Saint-Laurent mais qui s’est aussi exporté à l’ouest du Québec) connaissent une tendance à la « diphtongaison ». Ce terme désigne le fait de scinder une voyelle en deux éléments ; en l’occurrence, le « ê » long tend à se réaliser comme un « aïe » et le « ô » long comme un « ôouw ».

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📢 Ecoutez quelques exemples de prononciations laurentiennes réalisées de façon fortement diphtonguée : connaisse(nt) ; baleine ; arrête ; poteau.

Il importe toutefois de préciser que plus la diphtongaison est forte, plus elle est socialement marquée. Dans la diction soignée des lecteurs de nouvelles à la télé et à la radio, la diphtongaison est évitée et seule persiste la longueur vocalique ; en revanche, dans les milieux populaires, la diphtongaison se fait clairement entendre.

Et qu’en est-il de l’Ouest canadien?…

Il y a aussi des francophones dans les provinces de l’Ouest canadien, et en ce qui concerne le Manitoba, une bonne centaine d’entre eux ont répondu à notre enquête, ce qui nous a permis de recueillir les données suivantes, présentées sous forme de tableau (plutôt que sous forme de carte, l’immense majorité des répondants étant issus de l’agglomération urbaine de Winnipeg, plus précisément de Saint-Boniface):

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Figure 5. Pourcentage de répondants à l’enquête (dans l’agglomération de Winnipeg–Saint-Boniface) ayant indiqué prononcer les mots arrête, baleine, connaissent et poteau avec une voyelle longue.

Dans l’ensemble, le comportement des Bonifaciens s’aligne sur celui des locuteurs de l’Ontario et de l’Ouest du Québec. Tout comme eux, ils privilégient (bien que dans des proportions moindres) la longueur vocalique pour arrête et baleine, alors qu’inversement connaissent est prononcé très majoritairement avec une voyelle brève. Enfin, comme c’est le cas dans la plus grande partie de l’Est du pays (sauf dans la grande région de Québec et dans les Maritimes), poteau est prononcé par une très claire majorité des répondants avec une voyelle longue. Ces résultats ne sont guère surprenants, une bonne partie des ancêtres des Franco-Manitobains étant originaires de l’Ouest québécois, voire de l’Ontario.

Le peuplement francophone dans le reste de l’Ouest canadien est toutefois un peu plus varié, incluant entre autres des immigrants originaires de Suisse, de Belgique ou de France. Nous n’avons pas récolté pour l’instant un nombre suffisant de participants dans ces zones pour garantir une représentativité suffisante de l’échantillon, raison pour laquelle nous encourageons fortement tous les Francos de l’Ouest à participer massivement à nos enquêtes!

Mot(s) de la fin…

Bien qu’il existe quelques petites différences d’une région à l’autre du pays, celles-ci sont plutôt rares et tendent à s’estomper avec les jeunes générations. Toutefois, c’est cette rareté même qui confère aux variantes régionalement marquées une saillance particulière dans l’imaginaire linguistique collectif. Sur la base de ces quelques cartes, on peut déjà dire qu’un locuteur qui prononce arrête avec un « è » bref mais poteau avec un « o » long vient probablement de Charlevoix, du Saguenay–Lac-Saint-Jean ou du Bas-du-Fleuve, mais pas de Québec ou de Montréal.

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Serait-il possible d’identifier des aires linguistiques à l’intérieur du Canada francophone en superposant les résultats de différentes cartes ? L’expérience mérite d’être tentée, mais il faut encore tenir compte de nombreux mots !

Le français de nos provinces 🇨🇦

Suite au succès de notre première enquête, nous avons lancé une nouvelle enquête, dont le but est (entre autres) de tester la prononciation de nombreux « shibboleths » : saumon, clôture, nage, lacets, crabe, bibliothèque, photo, haleine, aveugle… Nous vous invitons à y participer en grand nombre ! N’oubliez pas que votre aide est essentielle pour nous permettre de cartographier avec la plus grande précision la répartition régionale de ces indices géo-linguistiques, révélateurs de nos origines. Cliquez sur 👉 ce lien 👈, laissez vous guider et partagez autour de vous ! Toute participation est anonyme et gratuite.

Pour être tenu au courant de nos publications, n’hésitez pas à vous abonner à notre page Facebook ! Des questions, des remarques ? N’hésitez pas à laisser un commentaire ou nous envoyer un courriel !

pneu ou peneu ?

Suite au buzz généré par les cartes de notre précédent billet (la revue de presse, c’est par ici), nous avons trouvé des centaines de commentaires sur les réseaux sociaux d’internautes demandant ce qu’il en était de la prononciation du mot ‘pneu‘. La semaine dernière, nous avons donc mis en place un nouveau sondage contenant une question relative à cette particularité de prononciation (parmi d’autres phénomènes régionaux).

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Les premiers résultats nous montrent qu’apparemment, la prononciation en deux syllabes “pe-neu” est typique du Sud-Est de l’Hexagone, mais qu’elle est inconnue dans le pays de la chocolatine (!). Pour l’aire septentrionale de la France, c’était prévisible : on sait que les francophones de cette partie de l’Hexagone sont de grands avaleurs de e muets.

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Aire de la prononciation du mot pneu en une syllabe (“pneu”) ou en deux syllabes (“peneu”), d’après l’enquête Français de nos régions. Les frontières en traits blancs fins signalent les limites de départements.

S’agit-il d’un artefact dû au fait que nous n’ayons reçu que 1200 réponses pour tout l’Hexagone jusque là, ou la réalité ? Pour le savoir, nous avons besoin d’un plus grand nombre de réponses. N’hésitez donc pas à participer à notre nouvelle enquête (ça prend moins de 10 minutes, et c’est complètement anonyme) et à partager ce billet autour de vous ! Nous actualiserons la carte dès la rentrée !

Les régionalismes du Grand (Sud-)Ouest (vol. 2)

Dans un de nos précédents billets, on vous a parlé de quelques régionalismes du Grand (Sud-)Ouest, en l’occurrence des expressions ça loge et on n’est pas rendu (à Loches), ainsi que des mots tancarville (= “étendoir à linge”) et débaucher (= “sortir du travail”). On vous propose aujourd’hui six nouvelles cartes, qui permettent d’illustrer une nouvelle fois la richesse des particularités langagières de cette aire géographique.

Poche, pochon

On commence avec l’un des régionalismes les plus emblématiques d’un large quart du sud-ouest de la France, le mot poche, qui désigne ce qu’on appelle un peu plus au nord un pochon, et dans le reste de la francophonie d’Europe un sac (à l’Est, ce sont plutôt les variantes sachet et cornet que l’on retrouve, v. notre précédent billet à ce sujet). D’après les ouvrages que nous avons consultés, le mot poche était déjà attesté en ancien français avec le sens de “bourse, petit sac”, et cette acception était déjà selon toute vraisemblance propre à l’Ouest au 18e siècle ! Quant au dérivé pochon (il s’agit du mot poche auquel on a ajouté le suffixe -on), il semble tout aussi ancien. Les résultats de notre première enquête (plus de 12.000 participants francophones d’Europe) montrent que que sur le plan géographique les aires des deux mots ne se recouvrent pas, mais se complémentent : on utilise le mot pochon dans les départements qui bordent, sur la frange nord, les départements où le mot poche est en usage.

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Figure 1. Répartition et vitalité du mot poche (au sens de “sac”) dans l’enquête Euro-1. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participant plus la couleur est chaude, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.

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Figure 2. Répartition et vitalité du mot pochon dans l’enquête Euro-1. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants; plus la couleur est chaude, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.

Bouiner

Peut-être moins connu que les deux précédents, le verbe bouiner (et sa variante bouéner) est emblématique du français que l’on parle dans une région qui inclut grosso modo la Basse-Normandie, une partie de la Bretagne et une partie des Pays de la Loire. Le sens que véhicule ce verbe est débattu sur le web (voir la discussion de cet article), et sans doute le verbe connaît-il une diffusion plus large quand il est employé dans l’expression “qu’est-ce que tu bouines ?” (voir cette page). Dans notre seconde grande enquête (plus de 10.000 participants francophones d’Europe), le mot était proposé comme réponse possible à une question dont l’intitulé était “Quand on reste à ne rien à faire à la place de travailler, cela veut dire qu’on passe son temps à…”, à côté de synonymes comme bassoter, mamailler ou pétzer, entre autres (ces mots feront l’objet de billets particuliers).

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Figure 3. Répartition et vitalité du mot bouiner (et de sa variante bouéner) dans l’enquête Euro-2. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants; plus la couleur est chaude, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevée.

Dalle

Dans le Sud-Ouest de l’Hexagone, le mot dalle n’a pas le même sens que dans le reste de la francophonie d’Europe (le mot désigne, selon le Larousse, une “plaque dimensionnée de marbre, pierre, céramique, verre, métal, béton, etc., plus grande qu’un carreau, employée en nombre pour le revêtement de sols ou de murs”). Beaucoup de locuteurs du français établis dans cette région utilisent en effet le mot dalle pour nommer ce que l’on appelle en français commun une gouttière (et ce qu’une large majorité des locuteurs du Grand Est de l’Hexagone appellent un cheneau, ou un chéneau ; promis, la carte sera bientôt disponible!).

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Figure 4. Répartition et vitalité du mot dalle (au sens de “gouttière”) dans l’enquête Euro-2. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants; plus la couleur est chaude, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevée.

On imagine fort bien que ce genre d’homonymie doit souvent aboutir à des quiproquos dans la vie de tous les jours. A témoin ce petit dialogue entre un jeune architecte (manifestement non originaire du Sud-Ouest) et un couvreur originaire du pays , retranscrit sur ce blog tenu par un Girondin, et que je reproduis ci-dessous (manifestement, dans le Sud-Ouest, gouttière signifie “fuite”) :

  • Le couvreur : Dois-je mettre une dalle sous le toit?
  • L’architecte : Une dalle sous le toit mais pourquoi faire, puisqu’il va y avoir une gouttière ?…
  • Le couvreur : C’est bien parce qu’il y aura une gouttière que je propose de mettre une dalle !
  • L’architecte : Je n’ai jamais vu de dalle sous une gouttière…
  • Le couvreur : C’est pourtant souvent le cas, sous une gouttière on pose une dalle en zinc ou en cuivre…
  • L’architecte : Je n’en ai jamais vu, j’ai vu des dalles en pierre ou en marbre… On se sert du zinc ou du cuivre pour faire des gouttières…”

La prononciation des consonnes finales

Les particularités du français du Sud-Ouest peuvent se faire également sentir dans la prononciation de certains mots, notamment des consonnes finales. On vous parlait il y a quelque temps de la prononciation de la consonne finale du mot moins, en voici la carte mise à jour :

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Figure 5. Répartition et vitalité de la prononciation du -s final du mot moins dans l’enquête Euro-2. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants; plus la couleur est chaude, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevée.

Saviez-vous que dans la région de Toulouse on prononce également la consonne finale du mot encens ?  Notez au passage que cette particularité de prononciation se retrouve également dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel (et dans une moindre mesure à Genève), en Suisse romande !

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Figure 6. Répartition et vitalité de la prononciation du -s final du mot encens dans l’enquête Euro-3. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants; plus la couleur est chaude, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevée.

Quel français régional parlez-vous ?

Vous pouvez contribuer à notre projet en répondant à quelques questions sur vos usages des régionalismes. Pour participer aux enquêtes et nous aider à en savoir plus sur la vitalité et l’aire d’extension de certains régionalismes du français, cliquez ici !