C’est une question qui agite la toile depuis pas mal de temps (v. ce topifight, ce forum ou celui-ci), mais qui n’a toujours pas trouvé de réponse satisfaisante. Et les dictionnaires de référence, de même que les dictionnaires de régionalismes, ne sont toujours pas toujours non plus d’une très grande aide. La page Wikipedia consacrée au “crayon” résume le problème simplement :
“Il n’existe pas de terminologie officielle et les désignations peuvent varier selon les zones géographiques ou culturelles : on parle de « crayon-mine », de « crayon de mine », de « crayon à papier », de « crayon de papier », de « crayon de bois » ou « crayon gris », « crayon de plomb » ou « crayon à mine » au Québec, « crayon noir », « crayon ordinaire » ou même simplement « crayon » en Belgique” (page consultée le 25.11.2016).
Fait rare : même l’Académie signale que toutes ces variantes sont correctes (cliquez ici si vous ne nous croyez pas) !
Les cartes de ce billet ont été générées avec le logiciel R, à l’aide (entre autres) des packages ggplot2 et raster. Vous pouvez également nous aider en répondant à quelques questions quant à vos usages des régionalismes ! Il suffit simplement de cliquer ici, et de se laisser guider. Les enquêtes peuvent être réalisées de façon anonyme depuis son smartphone, son ordinateur ou sa tablette. Il vous faudra compter 15 minutes environ pour en venir à bout.
Pour tenter d’y voir plus clair, nous avions demandé aux internautes, dans l’une de nos premières enquêtes sur les mots et les phrases du français de nos régions , comment ils nommaient “le bâtonnet de bois contenant une mine, dont on se sert pour écrire sur du papier”. Et on leur présentait cette image :
Source de l’image : Wikipédia
Les répondants devaient choisir dans une liste de plusieurs réponses la variante qu’ils utiliseraient préférentiellement dans le cadre d’une conversation en famille ou entre amis. La carte ci-dessous (générée à partir des réponses de plus de 12’000 francophones d’Europe) permet de visualiser quels items ont été donnés le plus souvent pour chacun des départements de France, chacune des provinces de Belgique et chacun des cantons de Suisse romande.
Figure 1. Les désignations du “bâtonnet de bois contenant une mine, dont on se sert pour écrire sur du papier” dans l’enquête Euro-1, en fonction des pourcentages maximaux obtenus par départements (FR), les provinces (BE) et cantons (CH).
Comme on peut le voir, la variante “crayon” est arrivée largement en tête des sondages en Belgique. En France, la situation est plus contrastée: le territoire se partage entre ceux qui disent “crayon à papier” et ceux qui disent “crayon de papier” (à noter qu’aucune variante n’est “plus correcte” que l’autre, contrairement à ce que nous dit ce site). On remarque toutefois que dans certaines zones périphériques, qui incluent les départements des Alpes du Sud-Est, une bonne partie de la Bretagne et le département de l’Ariège, c’est la variante “crayon gris” qui a été choisie. Nos amis de l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais, de même que les habitants d’une partie des Pays de la Loire ont plébiscité la réponse “crayon de bois”. Dans une partie de la Bretagne, la variante “crayon papier” remporte les suffrage. En Suisse romande enfin, on observe également de la variation d’un canton à l’autre: les Vaudois et les Genevois nomment “crayon gris” ce que les Fribourgeois nomment “crayon papier” et les Valaisans nomment “crayon à papier”. Les Romands de l’Arc Jurassien ont préféré la réponse “crayon de papier”, à l’instar de leur voisins de France.
Comme on a pu l’apercevoir sur la carte c-dessus, les choses ne sont pas tout à fait si tranchées : de nombreuses variantes sont connues en dehors des aires que montre la carte ci-dessus. Sur la carte suivante, on peut voir p. ex. que la variante “crayon à papier” est assez répandue dans l’Europe francophone, mise à part peut-être en Belgique:
Figure 2. Répartition et vitalité de la réponse « crayon à papier » dans l’enquête Euro-1. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
La carte suivante laisse penser que la variante “crayon de papier” est moins célèbre hors de son aire maximale :
Figure 3. Répartition et vitalité de la réponse « crayon de papier » dans l’enquête Euro-1. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
La variante sans préposition, “crayon papier”, est connue dans des régions tout aussi discontinues, dans le canton de Fribourg et dans les Côtes-d’Armor :
Figure 4. Répartition et vitalité de la réponse « crayon papier » dans l’enquête Euro-1. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
La forme “crayon” est quant à elle connue dans les départements de la frange Sud, mais également en Suisse romande et en Alsace :
Figure 5. Répartition et vitalité de la réponse « crayon » dans l’enquête Euro-1. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
La réponse “crayon de bois” est cantonnée dans les zones où l’on a observé les pourcentages maximaux sur la Figure 1:
Figure 6. Répartition et vitalité de la réponse « crayon de bois » dans l’enquête Euro-1. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
On voit sinon que la réponse “crayon gris” est en fait connue sur une frange sud-est plus large que celle que l’on a vue sur la figure 1, et que la variante est également connue dans les régions situées au nord de la francophonie d’Europe (notez la différence entre les départements du Nord et du Pas-de-Calais) :
Figure 7. Répartition et vitalité de la réponse « crayon gris » dans l’enquête Euro-1. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
Enfin, les participants avaient la possibilité d’indiquer d’autres réponses dans une case “autre”. Nous avons recueilli des variantes comme “crayon noir” et “crayon ordinaire” (proposées par quelques locuteurs de Belgique), mais aussi la réponse “crayon (de/à) plomb”, en usage au Québec. Sur la carte ci-dessous, nous avons cartographié la vitalité de la réponse “crayon (à/de) mine”. Sans doute l’aire et la vitalité de cette tournure auraient été plus importantes si ce choix avait été proposé aux participants.
Figure 8. Répartition et vitalité de la réponse « crayon mine » dans l’enquête Euro-1. Chaque point représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
NB : Les variantes “crayon noir” et “crayon ordinaire” n’ont pas été suggérées par un nombre suffisant de participants pour qu’on qu’elles fassent l’objet de cartes dédiées. Comme on peut le voir sur la carte 1 plus haut, la variante “crayon noir” est surtout attestée en Suisse, alors que la variante “crayon ordinaire” a surtout été sollicitée par des informateurs Belges.
Comment ça se dit chez vous ?
Êtes-vous d’accord avec ces cartes ? Est-ce que les représentations correspondent à vos usages ? Pour participer aux enquêtes et nous aider à en savoir plus sur la vitalité et l’aire d’extension de certains régionalismes du français, cliquez ici ! Pour être tenu au courant des prochains résultats, suivez-nous sur Facebook !
*Ce billet a été publié le 25 novembre 2016, et mis à jour le 08 mars 2017.