Les carabistouilles de Macron

Emmanuel Macron raffole des expressions désuètes, régionales ou incongrues. Le magazine Femme Actuelle énumérait certaines des plus marquantes de sa toute première intervention télévisée en tant que Président de la République le 15 octobre dernier (parmi lesquelles les truculents croquignolesque, galimatias, logorrhée, antienne, etc). Lors d’un meeting de sa campagne électorale, il s’était même permis d’employer le mot dégun (qui signifie “personne” dans les dialectes et le français de la région de Marseille, v. notre carte) lors d’un meeting dans la ville phocéenne, provoquant l’ire des twittos.

Ce 12 avril 2018, il vient de récidiver sur TF1 avec le mot carabistouilles, donnant lieu à un pic de recherches inhabituel sur Google et un tout un tas de réactions et de détournements sur Twitter:

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Le mot carabistouilles (synonyme de “mensonges, balivernes”) figurait dans l’un de nos derniers sondages sur les mots et les expressions du français de nos régions.

Nous avons pour cette question collecté les réponses de plus de 7’000 internautes. Nous avons utilisé le code postal de la localité dans laquelle les participants au sondage ont indiqué avoir passé la plus grande partie de leur enfance, et avons comptabilisé le pourcentage de réponses positives par arrondissements en France et en Belgique, par cantons en Suisse. Des modèles statistiques ont ensuite été employés pour obtenir une représentation lisse et continue de la surface de la francophonie européenne, ce qui nous a permis d’obtenir la carte ci-dessous:

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Figure. Pourcentage déclaré d’emploi du mot carabistouilles (au sens de “bêtises, balivernes”) d’après les enquêtes Français de nos régions.

D’après le Dictionnaire des belgicismes, le mot carabistouilles est composé du préfixe cara– (d’origine incertaine) et de bistouille, qui désigne dans les parlers du Nord de la France et du Hainault belge un café arrangé (information tirée du Dictionnaire des Belgicismes). Ceci explique que le mot soit surtout employé en Belgique ainsi que dans les départements des Hauts-de-France et des Ardennes, comme le montre notre carte. Le voile blanchâtre qui recouvre le reste de l’Hexagone signale que le mot jouit, hors de sa région d’origine, d’une vitalité qui n’est pas nulle.

S’il est impossible de dire quand le mot s’est exporté en dehors de sa région d’origine, on ne peut que remarquer, avec Michel Francard, que cette dérégionalisation va de pair avec le fait que les mots et les expressions du français des périphéries ne soient plus vus comme des fautes ou des écarts à la norme.

Pour la petite histoire, le mot carabistouilles figure dans le Larousse depuis 1979 (avec la mention “rég. Belgique”, indication que reprend le Wiktionnaire). Il est entré dans le petit Robert en 2008, avec la marque “rég. Nord/Belgique”.

Et on peut se réjouir avec le linguiste que les médias comme les politiciens se les approprient. Sur ce point d’ailleurs, Macron n’a pas innové: comme le rappelle Michel Francard dans son excellent billet, le mot figurait dans l’un des gros titres de l’édition du Monde datée du 2 mai 2017 (et sans guillemets). Pour mémoire, ce n’est pas la première fois qu’un politicien fait usage de ce mot. La première fois, c’était dans la bouche de J.-L. Mélenchon.