Qui n’a jamais été frappé, en se rendant dans les Alpes, d’entendre les locaux introduire des « y » un peu partout dans leurs phrases : je vais y faire ; je vais y prendre ; je vais y manger ?

D’après les résultats de notre enquête sur les mots et les expressions de nos régions (cliquez ici pour participer), l’usage de pronom y, que l’on a souvent qualifié de « savoyard », de « dauphinois », de « lyonnais » ou de « bourguignon », couvre une aire géographique plutôt large, qui ne correspond pas tout à fait aux limites du domaine francoprovençal :
Répartition et vitalité du pronom « y neutre » dans l’enquête Euro-1. Chaque symbole représente le code postal de la localité d’enfance d’un ou de plusieurs participants, plus la couleur est foncée, plus le pourcentage de participants par département (FR), province (BE) ou canton (CH) est élevé.
La carte ci-dessus a été obtenue à partir des réponses de plus de 15’000 participants, à qui on a présenté l’énoncé suivant : « Vous rénovez votre maison, mais c’est la fin de la journée et vous n’avez pas encore commencé à repeindre le mur de votre maison. Un ami qui passe vous demande pourquoi vous avez laissé de côté ce travail, et vous lui dites ». Les sujets devaient ensuite choisir en deux phrases laquelle des deux ils utiliseraient préférentiellement dans leurs conversation familière : ça, je vais le faire demain et ça, je vais y faire demain. La carte présente le taux de pourcentage pour la réponse ça, je vais y faire demain.
Il va y faire
Contrairement à une opinion bien répandue, dans ces contextes, le pronom y ne remplace pas un complément d’objet indirect (comme il le ferait avec le verbe aller, p. ex. dans la phrase j’y vais), mais bien un complément d’objet direct. Ainsi, les phrases mentionnées ci-dessus, le pronom y remplace des compléments de type « quelque chose » ou « ça » (je vais faire quelque chose, je vais prendre ça, je vais manger quelque chose/ça), et non des compléments de type « à quelque chose » ou « à ça » (*je vais faire à quelque chose, *je vais prendre à ça, *je vais manger à quelque chose/ça, où l’astérisque signale que l’énoncé est agrammatical). Mais alors pourquoi dans ces régions, les gens n’utilisent-ils pas le pronom le, comme en français standard (je vais le faire, je vais le prendre, je vais le manger) ?
Un peu d’histoire
D’après Gaston Tuaillon, dialectologue spécialiste du francoprovençal, l’existence de ce pronom y s’explique par le substrat dialectal, c’est-à-dire par les patois, qui étaient encore parlés par nos arrières-grands-parents. Dans les patois francoprovençaux, de même que dans les parlers d’oïl du sud de la Bourgogne, les pronoms objets directs, qui se placent avant le verbe, comportent trois formes : une forme pour le masculin (lo ou lou, équivalent du le français, comme dans la phrase je vais le prendre), une forme pour le féminin (la, équivalent du la français, comme dans la phrase je vais la prendre) et une forme pour le neutre (o ou ou, qui n’a pas d’équivalent en français standard, mais qui correspond à notre y régional, comme dans la phrase je vais y prendre).
Quand le français a commencé à être parlé dans les régions de Lyon, de (Haute-)Savoie, du sud de la Bourgogne ou du Dauphiné, les locuteurs, alors patoisants, ont conservé un système à trois cas (masculin, féminin et neutre) en utilisant la forme y du français pour « traduire » les pronoms o et ou du francoprovençal en français. Aujourd’hui, si cet usage continue d’être couramment employé dans le français régional, c’est parce qu’il permet de marquer des nuances de sens dont le français standard ne permet pas de rendre compte ! Se non è vero, è ben trovato !
Une aire géolinguistique controversée
L’aire géographique d’usage de ce pronom a souvent été débattue dans la littérature scientifique. D’après Gaston Tuaillon (1988 : 295), l’usage de ce pronom couvrirait un vaste espace que l’on peut « délimiter approximativement, en disant qu’il couvre l’espace français, à l’est d’une ligne qui va d’Autun à Valence ». Pierre Rézeau, dans son Dictionnaire sur les Régionalismes de France, présente une carte qui indique que le pronom y neutre est utilisé jusque dans le sud du Loir-et-Cher.
Répartition et vitalité du pronom « y neutre » dans l’enquête DRF.
En Suisse romande, d’après Wiliam Pierrehumbert, l’usage de ce pronom est attesté dans les parlers genevois depuis au moins le 16e siècle. Les résultats de notre enquête indiquent que cet usage ne semble pas connu au-delà des frontières du district de Nyon dans le canton de Vaud.
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