Ce que les Suisses, les Belges et les Québécois ne disent pas comme les Français : le cas du téléphone

Comment appelez-vous cet appareil qui tient dans la main et vous permet d’appeler de n’importe où, sans avoir besoin d’une ligne de téléphonie fixe ?

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C’est à cette question que près de 12.000 francophones originaires d’Europe, du Canada et des Antilles ont répondu dans le cadre des sondages « Le Français de nos Régions » (cliquez sur ce lien pour accéder aux sondages en cours). Les réponses obtenues nous permettent de confirmer en partie de ce que l’on savait déjà : l’objet n’a pas le même nom d’un pays à l’autre.

Portable, Natel ou GSM ?

Comme le montre la carte ci-dessous, où l’on a représenté les variantes majoritaires par département (FR), canton (CH) pu province (BE), c’est l’appellation Natel qui prédomine en Suisse romande, alors qu’en Belgique, c’est la forme GSM qui arrive en tête des sondages :

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Figure 1. Les dénominations du « téléphone mobile » en France, en Belgique et en Suisse, en fonction des réponses majoritaires des participants à l’enquête Euro-3.

Nota Bene

Il semblerait que la variante GSM soit également en usage au Grand Duché du Luxembourg. Faute d’un nombre de participants suffisant, nous n’avons pas pu inclure ce pays dans les résultats de ce billet.

En France métropolitaine, les participants ont donné en majorité la réponse (téléphone) portable, et ce peu importe leur département d’origine (pour une fois que tout le monde est d’accord, ça vaut le coup de le souligner !). On remarquera toutefois que les participants vivant dans les régions frontalières de la Belgique (départements des Ardennes, du Nord et du Pas-de-Calais) et de la Suisse (départements du Doubs et de la Haute-Savoie) connaissent (et utilisent) les variantes en usage de l’autre côté de la frontière. Beaucoup de répondants originaires de France nous ont signalé qu’ils s’adaptaient à la nationalité de leur interlocuteur, ou qu’ils appliquaient le « droit du sol » quand ils se rendaient de l’autre côté de la frontière – un bel exemple d’adaptation linguistique !

Le saviez-vous ?

Le mot Natel est un mot-valise formé à partir de la contraction de deux mots allemands, « national » et « Telefon » (si vous voulez savoir en quoi le « Natel » est différent du « portable » français, n’hésitez pas à lire cet article de Kantu, une bloggeuse romande expatriée en France, c’est très drôle !). Quant à GSM, il s’agit de l’acronyme de Global System for Mobile Communications. Source : BDLP.

Outre-Atlantique, la situation est bien différente. Au Québec et dans les autres provinces du Canada, c’est l’expression (téléphone) cellulaire (ou tout simplement cell) qui a été donnée par la majorité des participants :

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Figure 2. Les dénominations du « téléphone mobile » au Québec et dans les provinces voisines, en fonction des réponses majoritaires des participants à l’enquête Amérique du Nord.

Dans les Antilles en revanche, que ce soit en Haïti ou dans les îles des Petites Antilles (où le français, bien que langue officielle, est parlé en concurrence avec différentes variétés locales de créole), c’est la réponse (téléphone) portable qui a été plébiscitée par nos informateurs :

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Figure 3. Les dénominations du « téléphone mobile » dans le français des Antilles, en fonction des réponses majoritaires des participants à l’enquête Amérique-Antilles.

Quid du téléphone mobile ?

Les graphes ci-dessous donnent une idée de la répartition de chacun des types lexicaux pour chacune des aires à l’étude (soit, de droite à gauche : France, Suisse, Belgique, Canada, Haîti et Petites Antilles). Le graphe de gauche a été réalisé à partir des données tirées des enquêtes « Le français de nos régions » ; le graphe de droite à partir d’une recherche dans la base textuelle Varitext. Comme on peut le voir l’appellation « téléphone mobile » n’est pas utilisée par grand monde, dans un contexte comme dans l’autre :

Figure 3. Les dénominations du « téléphone mobile » en français d’Europe, du Canada et des Antilles d’après les résultats des enquêtes Le français de nos régions (à gauche) et une recherche dans la plateforme Varitext (avril 2017, à droite).

Globalement, si les données tirées de Varitext vont dans le même sens que les sondages effectués dans le cadre des enquêtes « Le français de nos régions », on peut toutefois remarquer que dans la presse helvétique, les journalistes répugnent à utiliser le mot Natel, et préfèrent parler de portable (est-ce que c’est parce que « ça sonne plus Français », ou parce que « Natel » est une marque déposée ?).

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En 1998, année de la libéralisation des télécommunications en Suisse, Swisscom (qui était jusque-là le seul opérateur téléphonique de la Confédération Helvétique) dépose la marque Natel sur le marché. Aujourd’hui, c’est la seule entreprise autorisée à utiliser le terme à des fins commerciales. Source : Wikipédia.

Les recommandations des commissions de terminologie

La Commission d’enrichissement de la langue française qui fait autorité en France, recommande d’utiliser les expressions ordiphone ou terminal de poche ; l’Office québécois de la langue française, qui fait autorité de l’autre côté de l’océan, recommande pour sa part l’usage de l’expression téléphone intelligent, voire des termes téléphone-ordinateur ou téléphone-assistant personnel (pour la France, voir ce lien ; pour le Québec, c’est par ici). Ces deux offices proposent de renoncer au mot smartphone, parce qu’il s’agit d’un anglicisme (il est en effet formé à partir des mots smart : « intelligent, malin » et phone : « téléphone »).

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Source

Dans nos enquêtes, la question relative au téléphone mobile comportait aussi les réponses « smartphone », « ordiphone » et « téléphone intelligent » (nous n’avons pas jugé nécessaire d’inclure la variante « terminal de poche » dans les réponses possibles). Ci-dessous, le graphe de gauche a été réalisé à partir des données tirées des enquêtes « Le français de nos régions » ; le graphe de droite à partir d’une recherche dans la base textuelle Varitext.

 Figure 4. Les dénominations du « téléphone mobile » en français d’Europe, du Canada et des Antilles d’après les résultats des enquêtes Le français de nos régions (à gauche) et une recherche dans la plateforme Varitext (avril 2017, à droite). NB : Ces trois variantes ne figuraient pas dans le questionnaire consacré au français des Antilles.

Comme on peut le voir, d’après nos enquêtes, en Europe, peu de participants suivent les recommandations des commissions de terminologie (moins de 10% de Français, de Belges et de Suisses ont coché la réponse « téléphone intelligent »). Nos cousins Canadiens sont quant à eux plus consciencieux, et n’hésitent pas à utiliser « téléphone intelligent » à la place du mot « smartphone ». Du côté de l’écrit, les tendances sont les mêmes, bien qu’en Suisse, le pourcentage d’utilisation de l’expression « téléphone intelligent » ait plus de succès que dans les autres pays et par rapport à nos enquêtes. Quant au mot-valise « ordiphone » (formé à partir des lexèmes « ordinateur » et « téléphone »), force est de constater qu’il n’est utilisé par personne (ou du moins par pas grand monde, même du côté des journalistes), que ce soit en Europe ou Outre-Atlantique.

Le saviez-vous ?

D’après la page Wikipédia consacrée au smartphone (consultée le 25 avril 2017), en Europe, « on utilise[rait] « smartphone » de manière tout à fait exceptionnelle (dans certains textes administratifs par exemple) ».

Personnellement, je n’ai jamais entendu quelqu’un s’exclamer qu’il s’était débarrassé de son vieux Nokia 3310 pour s’acheter un « terminal de poche » ou un « ordiphone », que ce soit en France, en Suisse ou en Belgique (LOL) !

Le mot de la fin

Dans le domaine de la terminologie de la téléphonie mobile, tout va très vite, et il est clair aujourd’hui, quand on parle de son « téléphone », qu’il s’agit d’un téléphone mobile (ou portable), et qu’on ne le précise même plus… Par ailleurs, beaucoup de gens se servent également du mot « Iphone », nom d’un appareil de la marque Apple, pour désigner un smartphone, quel qu’il soit. Dans un prochain sondage, on interrogera les dénominations du « SMS » (et ses variantes : « mini-message », « texto », ou tout simplement « message » (ou « mess' » ?). En attendant, on termine avec ce morceau, sorti à la fin des années 90, quand les téléphones mobiles commençaient à envahir nos vies…

Aidez la science !

Nous sommes systématiquement à la recherche de participants pour nos enquêtes, plus vous serez nombreux à y prendre part, plus nos cartes seront fiables. Vous êtes francophone originaire de France, de Suisse, de Belgique, d’Amérique du Nord ou des Antilles ? Alors cliquez sur ce lien, et laissez-vous guider !

A propos Mathieu Avanzi

Mathieu Avanzi est linguiste. Il a défendu une thèse portant sur l'intonation du français en 2011, et effectué plusieurs séjours postdoctoraux en Belgique (Louvain-la-Neuve), en France (Paris), au Royaume-Uni (Cambridge) et en Suisse (Berne, Genève, Neuchâtel et Zurich). Après avoir été maître de conférences à Sorbonne Université (Paris IV) au sein de la chaire Francophonie et variété des français, il a été nommé professeur ordinaire à l'université de Neuchâtel, où il dirige le Centre de dialectologie et d'étude du français régional. Ses travaux portent sur la géographie linguistique du français, sujet auquel il a consacré plusieurs articles et ouvrages.

13 réponses

  1. Pour ma part je refuse d’appeler cet appareil un « téléphone intelligent ». L’appareil n’est pas intelligent. Je le suis. Je dis le « cellulaire » ou même tout simplement le « téléphone ».
    En passant, je suis Québécois de naissance et j’habite au Manitoba depuis un quart de siècle.

    1. Louis-Étienne William

      Si les langues devaient constamment se restreindre à l’usage littéral des mots, nous devrions sans cesse créer (et apprendre!) plusieurs nouveaux mots par jour pour éviter les usages approximatifs, analogiques ou métaphoriques. À ce compte, on ne pourrait pas utiliser « automobile » (l’automobile ne bouge pas par elle-même puisque quelqu’un la conduit), « ordinateur » (il ne fait pas que mettre des nombres en ordre), « cellule » (mot employé par son découvreur par analogie avec la cellule du moine), etc.

      Ceci dit, j’avoue que, dans la langue courante, « téléphone intelligent » n’est vraiment pas un terme très naturel, mais il n’y a rien de mal à utiliser des mots comme téléphone, portable ou cellulaire même s’ils ne désignent qu’une partie des fonctions de l’appareil (procédé qu’on appelle savamment la synecdoque). Dans un contexte plus formel, par contre, « téléphone intelligent » peut très bien avoir sa place.

  2. Benjamin Chollet

    Petite erreur: le mot Natel vient de la contraction de l’expression « Nationales Autotelefon » (voire « Nationales Autotelefonnetz » selon les sources).
    Au départ, il s’agissait de téléphones mobiles disponibles dans les voitures.

  3. Louis-Étienne William

    À noter que « terminal de poche », en plus d’être ringard à souhait, ne peut s’employer pour un téléphone intelligent, car un terminal est justement tout le contraire d’un ordinateur (ce que sont devenus les téléphones portables d’aujourd’hui). À la rigueur, si nos téléphones avaient été des minitels de poche…

  4. Didier

    Petite info d’outre-mer sur la façon de nommer les terminaux mobiles (je crois que c’est la première fois que j’appelle un téléphone comme ça 😀 ). En Polynésie on utilise le mot « Vini » qui est l’offre mobile de l’opérateur local (donc comme les Suisses avec « Natel »). Ce serait intéressant de voir si il y a des gens qui l’appelle autrement là bas, surtout en combien de temps les métropolitains fraichement arrivés changent leur vocabulaire.

  5. Alexandre Richer

    GSM, au départ, était le sigle du Groupe spéciale mobile de la CEPT. (source: Systèmes de radiocommunications avec les mobiles, de Jean Gabriel Remy, Jean Cueugniet et Cedric Siben, Eyrolles, 1988, p. 569).

  6. Gilles

    Et une variante de verbe : « les français doivent éteindre leur portable, svp, tandis que les belges, eux, vont stopper leur GSM » (au début d’une conférence, vers 2004 — cela a pu évoluer). Et bravo pour vos recherches !

  7. Autour de moi, les gens utilisent «GSM» même pour un appareil plus sophistiqué. Par écrit, j’utilise «intelliphone» lorsque je dois faire la distinction. C’est aujourd’hui que j’ai appris sur votre blogue l’existence du mot «ordiphone», que je compte utiliser dès méshuis par écrit. Toutefois, les mots «GSM», «cellulaire» et «natel» doivent juste changer de sens avec l’évolution technologique. Le mot «voiture» désignait une charrette hippomobile ou bovimobile; puis sont apparues les voitures automobiles, automotrices et tractées, alors que les chevaux et les bœufs cessaient petit à petit leurs activités, de sorte que «voiture» n’a plus eu de concurrence de sens. C’est pareil avec d’autres mots comme «char», «charrue», «train», «bateau», «plume» etc. À présent, les GSM trop simples disparaissent, et le mot fait référence aux GSM/natels plus sophistiqués. Quant aux néologismes, s’ils sont trop longs, ils ne réussissent jamais, ils ne « prennent » tout simplement pas. Donc l’histoire du «terminal de je-ne-sais-tout-quoi» ou du «téléphone intelligent» est finie avant de commencer.

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