Le français parlé dans les Antilles

Notre enquête s’est étendue il y a quelques mois au français dans les Antilles, plus précisément au français d’Haïti d’une part et à celui des Petites Antilles françaises d’autre part (Martinique, Guadeloupe et ses dépendances). Les résultats illustrent bien l’existence de nombreux antillanismes plutôt méconnus en métropole, mais aussi celle de différences parfois assez marquées entre Haïti, indépendant depuis le début du XIXe siècle, et les Départements d’Outre-Mer (DOM), ceux-ci s’étant trouvés en contact ininterrompu avec la métropole jusqu’à nos jours.

Chaque trois mois…

Le français scolaire ne connaît que la structure distributive tou(te)s les + adjectif numéral + (nom désignant une durée) ; on dira par exemple tous les trois mois, toutes les deux semaines. Or, de nombreuses régions francophones connaissent aussi une structure équivalente mais pas entièrement acceptée par la norme : il s’agit de la tournure chaque + adjectif numéral + (nom désignant une durée) ; cf. chaque trois heures, chaque deux mois, etc. Seules des enquêtes à grande échelle permettront de révéler la pénétration réelle de cet emploi dans l’usage des francophones ; quoi qu’il en soit, dans la Caraïbe, on constate que les deux structures se distribuent de façon à peu près égale en Haïti, alors que les DOM préfèrent de loin la tournure du français normé :

mois

Cela est peut-être dû à un contact plus intense avec la norme du français écrit de métropole, largement diffusée par le biais de l’école, des médias et des nombreux Métropolitains présents sur place.

Billes, marbres et caniques…

Le mot billes pour désigner les petites sphères avec lesquelles jouent les enfants est d’apparition relativement récente en français (1829, dans le dictionnaire de P.C.V. Boiste). On disait auparavant marbres, du nom de la matière dont certaines de ces petites boules étaient faites. Si en métropole le type marbres s’est effacé au profit de billes, ce n’est pas le cas en Haïti, où les réponses des enquêtés se partagent presqu’à égalité :

billes

Dans les DOM, le mot de métropole domine largement, mais près de 20% des sondés se souviennent de marbres (et de son diminutif tit-marbres) ; un tout petit pourcentage a même répondu caniques, un normandisme passé au Canada et dans les Antilles à l’époque coloniale.

Le « factitif » et sa syntaxe…

Dans le français de la plus grande partie des francophones, le factitif se construit comme suit : ils font entrer les invités (l’auxiliaire faire étant directement antéposé au verbe). Or, dans les Antilles, on relève en plus de l’ordre canonique un autre ordre qui est propre au français de cette région : il font les invités entrer (ici, l’auxiliaire est séparé du verbe par le complément qui vient s’intercaler entre les deux). Reconnue par plus d’un tiers des répondants haïtiens, la structure a même eu la préférence chez près de 60% des participants originaires des Petites Antilles. Il faut dire qu’elle est soutenue par l’existence d’une construction analogue dans les créoles antillais :

factitif

Bref…

On peut donc dire en résumé que le français dans les Antilles comporte, entre autres, des particularismes qui s’expliquent tour à tour comme des archaïsmes, des créolismes ou des importations de régionalismes métropolitains, plus ou moins présents selon qu’on se trouve en Haïti ou dans les départements français d’outre-mer. Nous soulignerons dans nos prochains billets d’autres catégories lexicales, telles que des amérindianismes, des africanismes, des hispanismes ou de pures innovations du français local. Vous pouvez toutefois continuer à nourrir cette enquête, en cliquant ici. Plus nous obtiendrons de réponses, plus les résultats seront probants. Merci à l’avance pour votre aide !

A propos andrethibault3

André Thibault est professeur de linguistique française à l'Université de Paris-Sorbonne.

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